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Dans le prolongement d’une évolution jurisprudentielle engagée depuis le début des années 2000 tendant à moduler les effets de ses décisions, puis l’étendue de son contrôle, le Conseil d’Etat a décidé d’intégrer, depuis son arrêt du 1er mars 2021 (req. n°436654), la possibilité de prononcer l’abrogation des actes administratifs soumis au contrôle du juge de l’excès de pouvoir.

Dans le cadre de cet office, qui consiste à apprécier la légalité d’un acte administratif, la règle – toujours en vigueur – consiste à vérifier qu’un acte administratif est conforme au droit en vigueur à la date à laquelle il a été édicté, c’est à dire à la date de sa signature.

Dans un arrêt rendu le 19 novembre 2021, sous le n°437141 et 437142, le Conseil d’Etat vient étendre encore l’office du juge administratif en précisant que :

« Sur l’office du juge de l’excès de pouvoir :

2. Lorsqu’il est saisi de conclusions tendant à l’annulation d’un acte réglementaire, le juge de l’excès de pouvoir apprécie la légalité de cet acte à la date de son édiction. S’il le juge illégal, il en prononce l’annulation.

3. Ainsi saisi de conclusions à fin d’annulation recevables, le juge peut également l’être, à titre subsidiaire, de conclusions tendant à ce qu’il prononce l’abrogation du même acte au motif d’une illégalité résultant d’un changement de circonstances de droit ou de fait postérieur à son édiction, afin que puissent toujours être sanctionnées les atteintes illégales qu’un acte règlementaire est susceptible de porter à l’ordre juridique. Il statue alors prioritairement sur les conclusions à fin d’annulation.

4. Dans l’hypothèse où il ne ferait pas droit aux conclusions à fin d’annulation et où l’acte n’aurait pas été abrogé par l’autorité compétente depuis l’introduction de la requête, il appartient au juge, dès lors que l’acte continue de produire des effets, de se prononcer sur les conclusions subsidiaires. Le juge statue alors au regard des règles applicables et des circonstances prévalant à la date de sa décision.

5. S’il constate, au vu des échanges entre les parties, un changement de circonstances tel que l’acte est devenu illégal, le juge en prononce l’abrogation. Il peut, eu égard à l’objet de l’acte et à sa portée, aux conditions de son élaboration ainsi qu’aux intérêts en présence, prévoir dans sa décision que l’abrogation ne prend effet qu’à une date ultérieure qu’il détermine ».

Cet arrêt vient – en théorie au moins – considérablement redéfinir les frontières du contrôle qu’exerçait le juge administratif tout en maintenant certains repères incontournables.

Les conclusions tendant à solliciter l’abrogation de l’acte administratif contestées devront être présentées à l’appui ou dans les suites d’une requête qui aura été introduite dans les délais. Autrement dit, l’acte administratif doit avoir été contesté dans le délai de deux mois qui suit la notification ou la publication de la décision contestée. A défaut, les conclusions seront irrecevables, sauf à présenter de telles conclusions par voie d’exception, c’est à dire contre un acte réglementaire qui fonde la décision contestée.

Saisi dans les délais, le juge aura tout d’abord à apprécier la légalité de l’acte administratif dont il est saisi, avant d’examiner – dans l’hypothèse où il écarte les conclusions d’annulation – si des circonstances postérieures peuvent justifier l’abrogation de l’acte en cause ; c’est là que ce situe l’évolution majeure de cette solution prétorienne.

Pourquoi cette évolution ? La réponse ne figure pas dans le jugement mais bien dans les réflexions du rapporteur public qui a conduit la section du contentieux du Conseil d’Etat à s’interroger sur le point de savoir :  » […] le juge de l’excès de pouvoir est-il condamné, dans une telle configuration, à garder des œillères sur le présent et à rester imperméable à l’écoulement du temps, quand la légalité de l’acte sur lequel doit ne prononcer, elle, ne l’est pas […] ».