Dans une affaire jugée par le tribunal administratif de Besançon le 6 avril 2023, une commune a opposé à une demande de permis de construire une décision de sursis à statuer en raison de l’élaboration en cours du plan local d’urbanisme intercommunal. Le juge a fait droit à la demande du pétitionnaire qui sollicitait son annulation en raison de l’insuffisance de sa motivation. L’exécution de ce jugement soulève deux interrogations. D’une part, quand est-il opportun pour la collectivité, qui souhaite adopter une nouvelle décision de sursis à statuer, d’agir ? Différentes règles doivent en effet se concilier : celle issue de l’article L. 600-2 du Code de l’urbanisme, celle voulant que l’Administration demeure saisie de la demande de permis initiale et celles relatives à la naissance d’un permis tacite. D’autre part, comment (‘Administration peut-elle réinstruire cette demande, en particulier s’agissant de la détermination de la durée de validité de la nouvelle décision de sursis ?
1.- Le contentieux administratif de l’urbanisme déroge, sur de nombreux points, au contentieux administratif général. Parmi ces règles dérogatoires figure celle consacrée à l’article L. 600-2 du Code de l’urbanisme qui précise les conditions d’exécution d’une décision juridictionnelle annulant un refus opposé à une demande d’autorisation d’occuper ou d’utiliser le sol ou une opposition à une déclaration de travaux :
Lorsqu’un refus opposé à une demande d’autorisation d’occuper ou d’utiliser le sol ou l’opposition à une déclaration de travaux régies par le présent code a fait l’objet d’une annulation juridictionnelle, la demande d’autorisation ou la déclaration confirmée par l’intéressé ne peut faire l’objet d’un nouveau refus ou être assortie de prescriptions spéciales sur le fondement de dispositions d’urbanisme intervenues postérieurement à la date d’ intervention de la décision annulée sous réserve que l’annulation soit devenue définitive et que la confirmation de la demande ou de la déclaration soit effectuée dans les six mois suivant la notification de l’annulation au pétitionnaire.
2. – Il résulte de ces dispositions que lorsqu’un refus d’autorisation d’urbanisme est annulé par le juge administratif, l’autorité compétente ne peut adopter une nouvelle décision de refus qu’en se fondant sur les dispositions d’urbanisme applicables à la date de la première décision de refus, à la double condition que I’ annulation soit devenue définitive et que le pétitionnaire ait confirmé sa demande dans les 6 mois suivants la notification de l’annulation. Cette règle, protectrice pour le pétitionnaire, s’explique par la volonté de remédier aux iniquités que peut faire naître l’évolution défavorable des règles d’urbanisme depuis la décision de refus initiale, alors même que le pétitionnaire a, dans le même temps, obtenu gain de cause devant le juge. Dans son rapport du 10 juin 1992 relatif au fonctionnement des juridictions de l’ordre administratif, le sénateur Jean Arthuis relevait ainsi que « tel propriétaire aura la maigre consolation d’apprendre que I’ autorisation de construire qu’il avait sollicitée lui a été irrégulièrement refusée mais qu’entre la date de ce refus et la décision du juge, les règles de constructibilité ont été modifiées et l’empêchent dorénavant de mettre en oeuvre son projet de construction » Note 1 . C’est ainsi que dès 1994, le législateur a introduit dans le Code de l’urbanisme l’article L. 600-2 dont la rédaction a peu évolué en près de 30 ans.
3. – Dispositif protecteur pour les uns, il peut à l’inverse être source de difficultés et d’inquiétudes pour les autres, en particulier pour les collectivités qui peuvent s’ interroger sur les conditions de sa mise en œuvre. C’est ce qu’illustre le jugement rendu par le tribunal administratif de Besançon le 6 avril 2023 Note 2 . Dans I’ affaire soumise à l’examen de la juridiction, un maire avait opposé à un pétitionnaire un sursis à statuer à sa demande de permis de construire une maison d’ habitation et une maison jumelée de deux logements en raison de l’élaboration en cours du plan local d’urbanisme intercommunal valant programme local de I’ habitat (PLUiH). Cette décision a été annulée par la juridiction en raison de l’insuffisance de sa motivation, sans qu’une mesure d’injonction ne soit prononcée. Ce jugement, s’il peut paraître de prime abord tout à fait banal, est en réalité original à plus d’un titre. D’une part, dans le contentieux moderne de l’urbanisme, il est relativement rare que le juge administratif ne prononce aucune injonction après avoir annulé un refus d’autorisation de construire. Cette circonstance particulière pose des interrogations quant à la façon d’exécuter le jugement s’agissant de la question précise du moment à partir duquel le dossier du pétitionnaire doit être réinstruit par la collectivité. D’autre part, le jugement concerne une décision de sursis à statuer dont l’annulation contentieuse soulève nécessairement des questions plus complexes que celle d’un simple refus, notamment s’agissant de la durée de validité d’un nouveau sursis, le cas échéant. En définitive, le jugement pose deux séries d’interrogations quant à son exécution : quand est-ce que la collectivité doit réinstruire la demande de permis de construire en I’ absence d’injonction (1) et comment doit-elle la réinstruire (2) ?
1. L’exécution de l’annulation contentieuse d’un sursis à statuer sans injonction : quand réinstruire la demande ?
4. – L’article 600-2 du Code de l’urbanisme impose au pétitionnaire, en cas d’annulation contentieuse d’une décision de refus, de confirmer sa demande dans le délai de 6 mois suivant la notification de la décision juridictionnelle. Cependant, le Conseil d’État a précisé qu’il était dérogé à cette exigence lorsque c’est le juge lui-même qui, après avoir annulé un refus d’autorisation d’urbanisme, a ordonné le réexamen de cette demande (Note 3). Dans ce cas, l’administration doit la réinstruire sur le fondement des dispositions applicables à la date de la décision annulée, sous réserve que l’annulation soit devenue définitive, sans avoir à attendre une quelconque confirmation du pétitionnaire ; il n’est donc pas nécessaire que ce dernier manifeste son souhait de se prévaloir des dispositions protectrices de l’article L. 600-2. En présence d’une injonction, il n’y a guère d’incertitudes et il suffit à l’administration d’exécuter la décision juridictionnelle dans le délai qui lui a été imparti par la juridiction. En revanche, lorsque le juge, comme en l’espèce et de façon tout à fait originale, ne prononce pas d’injonction (A), doit-elle attendre la confirmation du pétitionnaire, au risque de voir naître une autorisation tacite (B) ?
A. – Enjoindre ou ne pas enjoindre à l’Administration de réexaminer la demande, telle est la question posée au juge
5. – En l’espèce, les requérants concluaient, d’une part, à l’annulation de la décision de sursis à statuer et, d’autre part, à ce qu’il soit enjoint à l’Administration de délivrer le permis de construire sollicité. Le juge n’a fait droit qu’à la première branche de leurs conclusions en jugeant que :
Aux termes de l’article R. 424-5 du code de l’urbanisme, un arrêté opposant un sursis à statuer doit être motivé. En l’espèce, si l’arrêté attaqué indique que le sursis à statuer en litige se fonde sur le plan local d’urbanisme intercommunal en cours d’élaboration, il se borne à indiquer que « le projet déposé n’est pas compatible avec le zonage projeté et est de nature à compromettre le projet communal ». Dans ces conditions, le destinataire de l’arrêté attaqué n’a pas été mis en mesure de comprendre les motifs pour lesquels sa demande de permis de construire a été refusée et, le cas échéant, les modifications à apporter à son projet lui permettant d’obtenir une autorisation d’urbanisme. Par suite, les requérants sont fondés à soutenir que l’arrêté contesté est insuffisamment motivé.Note 4
6. – L’arrêté a donc été annulé. En revanche, le juge a estimé que « l’exécution du présent jugement n’implique aucune mesure d’instruction » et a donc rejeté la demande d’injonction présentée par les requérants. Pour en arriver à cette solution, il a relevé :
Il résulte de ce qui précède que les requérants sont fondés à demander l’annulation de l’arrêté qu’ils contestent. En application de l’article L. 600-4-1 du code de l’urbanisme, aucun des autres moyens soulevés n’est susceptible, en l’état du dossier et dès lors que l’arrêté attaqué n’indique pas les considérations en droit et en fait du sursis à statuer en litige, de fonder cette annulation.^®-5
7. – Il est vrai qu’en application de l’article 600-4-1 du Code de l’urbanisme, la juridiction doit « épuiser le contentieux » :
Lorsqu’elle annule pour excès de pouvoir un acte intervenu en matière d’urbanisme ou en ordonne la suspension, la juridiction administrative se prononce sur l’ensemble des moyens de la requête qu’elle estime susceptibles de fonder l’annulation ou la suspension, en l’état du dossier (C. urb., art. L. 600-4-1).
8. – Cette règle se conçoit d’autant plus que la motivation d’une décision qui rejette une demande de permis de construire ou s’oppose à une déclaration préalable doit indiquer l’intégralité des motifs qui la justifie (C. urb., art. L. 424-3). Cependant, en l’espèce, même si le juge a expressément indiqué qu’aucun des autres moyens n’était susceptible de fonder l’annulation de la décision attaquée, il a laissé accroire que ces autres moyens n’avaient pas réellement pu être examinés en raison de l’insuffisance de motivation de l’arrêté, si bien qu’il n’y avait pas lieu de prononcer une quelconque mesure d’exécution.
9. – D’un côté, cette solution peut paraître tout à fait logique : comment, effectivement, se prononcer sur le bien-fondé de l’ensemble des moyens alors que l’arrêté attaqué ne détaille pas avec suffisamment de précisions les motifs de la décision ? Cela revient à s’interroger sur la pertinence même de la requête : comment les requérants peuvent-ils soutenir qu’ils n’étaient pas en mesure de comprendre les motifs pour lesquels la demande de permis de construire a fait l’objet d’un sursis à statuer et, dans le même temps, discuter, sur le fond, de la légalité de la décision ?
10. -D’ un autre côté, cette solution peut paraître discutable dès lors que le juge n’a pas relevé une absence de motivation, mais seulement une insuffisance de celle-ci. Dans ces conditions, n’était-il pas malgré tout en mesure de se prononcer sur les autres moyens de la requête ? Dans une affaire similaire qui a été tranchée par le Conseil d’État, le fait que l’arrêté ne soit pas suffisamment motivé n’a nullement empêché les juridictions de se prononcer sur les autres moyens de la requête et en particulier sur les moyens de fond Note 6. Cela s’expliquait par le fait où, comme en l’espèce, la motivation de l’arrêté, tout en étant insuffisante, permettait malgré tout de savoir que le sursis à statuer était fondé sur le fait que le projet n’était pas compatible avec le zonage projeté par le futur document local d’urbanisme. La motivation « implicite », tout comme d’ailleurs les échanges entre les parties au cours de l’instruction, permettaient ainsi au juge d’épuiser le
11. – Ce n’est pourtant pas l’interprétation retenue par la juridiction bisontine. La question de savoir si elle s’est effectivement prononcée sur l’ensemble des moyens dans le respect de l’article 600-4-1 du Code de l’urbanisme reste donc posée et devrait être examinée par la juridiction d’appel dans la mesure où les requérants ont saisi la cour administrative d’appel de Nancy sur ce point.
12. – Toujours est-il qu’en raison de la motivation retenue par le tribunal, il lui était effectivement difficile de prononcer une D’une part, puisque selon lui il n’était pas en mesure de connaître les raisons de fond ayant conduit la commune à prononcer un sursis à statuer contre le projet de construction du pétitionnaire, il ne pouvait véritablement épuiser le contentieux et, dans ces conditions, il lui était impossible d’enjoindre au maire de délivrer le permis en application de l’article L. 911-1 du Code de justice administrative. En tout état de cause, les juridictions administratives ont déjà eu l’occasion de relever que « I’ annulation d’une décision de sursis à statuer sur une demande d’autorisation d’urbanisme n’implique pas la délivrance de cette autorisation mais seulement que I’ administration, qui demeure saisie de la demande, procède à une nouvelle instruction de celle-ci » Note 7. Le juge semble ainsi se refuser à appliquer l’article L. 911-1 du Code de justice administrative en cas d’annulation d’une décision de sursis à statuer. D’autre part, puisque l’arrêté souffrait « seulement » d’un défaut de motivation, il était difficile de considérer que son annulation impliquait « nécessairement » que la commune « prenne à nouveau une décision après une nouvelle instruction » au sens de l’article L. 911-2 du Code de justice administrative. En effet, dans une telle situation, à la suite de l’annulation contentieuse, l’Administration se contente d’adopter un nouvel arrêté, motivé cette fois, mais sans procéder à une nouvelle instruction du dossier de demande de permis de construire qui ne s’impose aucunement. En l’absence d’injonction, restait pour l’Administration à savoir quand réinstruire la demande.
B. – Attendre ou ne pas attendre la confirmation du pétitionnaire, telle est la question posée à l’Administration
13. – En l’absence d’injonction de procéder au réexamen de la demande du pétitionnaire dans un délai déterminé, l’Administration doit nécessairement s’ interroger sur le moment opportun pour adopter une nouvelle décision. Plusieurs éléments doivent être pris en considération pour ce faire.
14. – En premier lieu, comme rappelé ci-dessus, le dispositif protecteur institué par l’article 600-2 du Code de l’urbanisme ne peut être mobilisé que si I’ annulation est devenue définitive et si le pétitionnaire a confirmé sa demande dans un délai de 6 mois. A priori donc, l’Administration n’a pas à adopter de nouvelle décision avant, au plus tôt, 2 mois suivant la notification du jugement puisque ce n’est que passé ce délai que l’annulation acquerra un caractère définitif.
En l’espèce d’ailleurs, il est intéressant de relever que les requérants ont saisi la cour administrative d’appel le 5 juin 2023, ce qui empêche l’application de I’ article L. 600-2. Quoi qu’il en soit, la question reste posée de l’attente ou non d’une confirmation de la part du pétitionnaire en cas d’annulation contentieuse sans injonction.
15. – En effet et en second lieu, il est de jurisprudence constante qu’en cas d’annulation contentieuse, l’Administration reste saisie de la demande initiale du pétitionnaire (Note 9), étant précisé que, en application des dispositions combinées des articles L. 424-2, R. 424-1 et R. 423-23 du Code de l’urbanisme, lorsque I’ Administration est saisie d’une demande d’autorisation d’urbanisme, son silence gardé pendant le délai d’un mois pour les déclarations préalables (C. , art. R. 424-1 a)) et 2 (Note 9) ou 3 mois (Note 10) pour les permis de construire, de démolir et d’aménager (C. urb., art. R. 424-1 b)) vaut autorisation tacite.
16. – Au regard de l’ensemble de ces considérations, les administrations peuvent légitimement se demander si, en cas d’annulation contentieuse « sèche » d’un refus d’autorisation d’urbanisme – c’est-à-dire sans injonction – il ne serait pas risqué d’attendre que l’annulation ait acquis un caractère définitif et que le pétitionnaire ait confirmé sa demande : n’y a-t-il pas un risque de voir naître une autorisation tacite, alors même qu’il est établi que l’autorité compétente demeure saisie de la demande du pétitionnaire ? Dans ces conditions, ne serait-il pas préférable que l’Administration adopte une nouvelle décision sans attendre la confirmation du pétitionnaire, mais en se fondant sur le droit applicable à la date de la nouvelle décision dans la mesure où les conditions posées à l’article 600- 2 du Code de l’urbanisme ne sont pas remplies ?
17. – En réalité, une telle solution préventive ne semble pas nécessaire dans la mesure où le Conseil d’État a jugé que seule une confirmation par le pétitionnaire de sa demande était de nature à faire courir les délais relatifs à la naissance d’une autorisation tacite :
(…) l’annulation par le juge de l’excès de pouvoir de la décision qui a refusé de délivrer un permis de construire, ou qui a sursis à statuer sur une demande de permis de construire, impose à l’administration, qui demeure saisie de la demande, de procéder à une nouvelle instruction de celle-ci, sans que le pétitionnaire ne soit tenu de la confirmer. En revanche, un nouveau délai de nature à faire naître une autorisation tacite ne commence à courir qu’à dater du jour de la confirmation de sa demande par l’intéressé. En vertu des dispositions, citées au point 12, de l’article R. 424-1 du code de l’urbanisme, la confirmation de la demande de permis de construire par l’intéressé fait courir un délai de trois mois, à l’expiration duquel le silence gardé par l’administration fait naître un permis de construire tacite (Note 11).
18. – Dès lors, si l’on s’en tient à cette jurisprudence, l’Administration n’a pas à craindre la naissance d’une autorisation tacite à l’issue d’une annulation contentieuse tant que le pétitionnaire n’a pas confirmé sa Cependant, dès lors qu’elle reste saisie de la demande initiale, il lui faut adopter une nouvelle décision. Deux choix s’offrent alors à elle : elle peut soit adopter une nouvelle décision sans attendre une confirmation du pétitionnaire en se fondant sur le droit applicable à la date de sa nouvelle décision, soit n’adopter une nouvelle décision qu’après confirmation de sa demande par le pétitionnaire en appliquant, dans ce cas, le dispositif protecteur de l’article L. 600-2 du code précité. Par prudence, une troisième voie pourrait cependant être conseillée aux collectivités : commencer par adopter une nouvelle décision sans attendre la confirmation du pétitionnaire – pour éviter tout risque de voir naître une autorisation dès lors qu’un revirement de jurisprudence n’est jamais à exclure – puis adopter une nouvelle décision en appliquant les dispositions de l’article L. 600-2 du code précité dans l’hypothèse où le pétitionnaire viendrait finalement confirmer sa demande, sachant que cette nouvelle décision aurait pour effet de retirer la précédente.
19. – Quel que soit le moment choisi par la collectivité pour adopter une nouvelle décision, il lui faut savoir comment procéder au réexamen de la demande.
2. L’exécution de l’annulation contentieuse d’un sursis à statuer sans injonction : comment réinstruire la demande ?
20.- La seconde spécificité du jugement commenté résulte de ce qu’il portait sur une décision de sursis à En droit de l’urbanisme, ces décisions occupent une place à part et soulèvent des interrogations quant à leur nature juridique (A). Admettre qu’il s’agit d’une décision créatrice de droit permet de mieux cerner les modalités selon lesquelles une collectivité se doit d’exécuter l’annulation contentieuse d’un précédent sursis à statuer, en particulier s’agissant de la fixation de la durée de validité de la nouvelle décision de sursis (B).
A. – Identifier la nature juridique des décisions de sursis à statuer
21. – En droit administratif général, il est classiquement admis que l’Administration peut, en réponse à la demande d’un administré, l’accorder ou la Le choix est donc binaire. En droit de l’urbanisme, une troisième voie s’offre à l’autorité compétente : celle du sursis à statuer qui lui permet, en quelque sorte, de retarder sa prise de décision.
22. – L’article 424-1 du Code de l’urbanisme liste les cas dans lesquels l’autorité compétente peut surseoir à statuer. Il renvoie notamment à l’article L. 153-11 du même code qui permet de surseoir à statuer « sur les demandes d’autorisation concernant des constructions, installations ou opérations qui seraient de nature à compromettre ou à rendre plus onéreuse l’exécution du futur plan dès lors qu’a eu lieu le débat sur les orientations générales du projet d’aménagement et de développement durable » (C. urb.. art. L. 153-11). C’est sur ce fondement que la commune a décidé de surseoir à statuer dans l’affaire commentée : le projet de construction du pétitionnaire aurait été de nature à compromettre ou à rendre plus onéreuse l’exécution du futur PLUiH de la communauté de communes dont la ville dépend.
23. – Puisqu’une décision de sursis à statuer n’est ni véritablement un refus ni une autorisation, de quel régime juridique relève-t-elle ? La solution n’est pas uniforme et varie en fonction de la règle que l’on cherche à lui opposer.
24. – Ainsi, pour l’application de l’article 600-2 du Code de l’urbanisme, le juge l’assimile à une décision de refus :
Considérant qu’une décision de sursis à statuer opposée à une demande de permis de construire doit être regardée comme un refus au sens des dispositions précitées de l’article L. 600-2 du code de l’urbanisme Note 12 .
25. – Il en résulte que, comme en l’espèce, en cas d’annulation contentieuse d’une décision de sursis à statuer, le pétitionnaire peut bénéficier de l’application de I’ article L. 600-2.
26. – S’agissant de l’application de l’article R. 600-1 du Code de l’urbanisme qui impose à l’auteur d’un recours contentieux contre « une décision relative à I’ occupation ou l’utilisation du sol régie parle présent code » de notifier son recours à l’auteur de la décision et au titulaire de l’utilisation, le juge administratif a eu I’ occasion de préciser, à plusieurs reprises, qu’une décision de sursis à statuer ne constituait pas « une décision relative à l’occupation ou l’utilisation du sol » au sens de cette disposition Note 13 . La cour administrative d’appel de Douai en a expliqué la raison dans une motivation tout à fait éclairante :
4. Cette rédaction de l’article R. 600-1, issue du décret n° 2018-617 du 17 juillet 2018, a mis en œuvre la mesure 13 « Sécuriser le bénéficiaire d’ une autorisation d’occupation du sol en élargissant le champ des actes concernés par l’obligation de notification du recours » préconisée par le rapport Maugüe « Pour un contentieux des autorisations d’urbanisme plus rapide et plus efficace ». Le pouvoir réglementaire a entendu ainsi rétablir le champ de l’obligation de notification, limité aux décisions valant autorisation puisque cette règle est instituée dans un objectif de sécurité juridique, tel qu’il avait été défini à l’origine par l’avis du Conseil d’État n° 178426 du 6 mai 1996.
5. Il résulte de ce qui précède qu’un recours contentieux à l’encontre d’un arrêté portant sursis à statuer sur une demande de permis de construire n’ entre pas dans le champ d’application de l’article R. 600-1 du code de l’urbanisme. L’exception tirée de l’omission de la notification prévue par cette disposition doit donc être écartée. Note 14
27. – S’agissant enfin de l’application des dispositions du Code des relations entre le public et l’administration relatives au retrait des actes administratifs, le juge considère cette fois qu’une décision de sursis à statuer est créatrice de droitNpte15. Pour ce faire, il prend en compte le fait que, en application de l’article 424- 1 du Code de l’urbanisme, une décision de sursis à statuer « ne peut, en principe, excéder deux ans » et le fait « que l’autorité compétente ne peut, à l’expiration du délai de validité du sursis ordonné, opposer à une même demande d’autorisation un nouveau sursis fondé sur le même motif que le sursis initial. En outre, lorsque des motifs différents rendent possible l’intervention d’une nouvelle décision de sursis à statuer, la durée totale des sursis ordonnés ne peut en aucun cas excéder trois ans » Note . Selon le juge, ces règles constituent de véritables garanties au profit du pétitionnaire, si bien qu’« une décision de sursis à statuer sur une demande d’autorisation concernant des travaux, constructions ou installations doit être regardée comme une décision créatrice de droits ». Il s’ensuit que le retrait d’une telle décision doit être précédé de la procédure contradictoire prévue par les dispositions de l’article L. 122-1 du Code des relations entre le public et I’ administration Note 17 . Ces précisions permettent de mieux comprendre comment procéder au réexamen du dossier du pétitionnaire à la suite de l’annulation contentieuse d’une décision de sursis à statuer, notamment s’agissant du calcul de la durée de validité de la nouvelle décision et dans l’hypothèse où I’ Administration souhaiterait adopter une nouvelle décision de sursis à statuer.
B. – Décider de la durée de validité d’une nouvelle décision de sursis à statuer
28. – Comme cela vient d’être expliqué, une décision de sursis à statuer est considérée par le juge comme une décision créatrice de droit, notamment parce qu’ elle ne peut avoir une durée de validité illimitée. Reste alors à déterminer cette durée lorsque l’autorité compétente adopte une seconde décision de sursis à statuer après que le juge administratif a annulé la première.
29. – En application du huitième alinéa de l’article 424-1 du Code de l’urbanisme, le sursis à statuer ne peut excéder 2 ans. Cette disposition précise encore que :
Si des motifs différents rendent possible l’intervention d’une décision de sursis à statuer par application d’une disposition législative autre que celle qui a servi de fondement au sursis initial, la durée totale des sursis ordonnés ne peut en aucun cas excéder trois ans.
30. – Si la loi semble plutôt claire et limiter à 3 ans la durée maximale d’un sursis à statuer en cas de sursis successifs, ce n’est que dans le cas où la seconde décision est prise sur des motifs différents de la première. Qu’en est-il en revanche lorsque la seconde décision est fondée sur des motifs similaires à la première ? En théorie, cette situation ne devrait pas pouvoir se rencontrer puisqu’il est justement interdit à l’autorité compétente, « à l’expiration du délai de validité du sursis ordonné, [d’] opposer à une même demande d’autorisation un nouveau sursis fondé sur le même motif que le sursis initial » (C. urb., art. L. 424- 1, al. 8). Mais c’est sans compter sur le cas particulier où, comme en l’espèce, la seconde décision de sursis à statuer résulte de ce que la première a été annulée pour insuffisance de motivation. Dans ce cas, l’autorité compétente semble pouvoir adopter une nouvelle décision de sursis à statuer : d’une part, I’ interdiction précitée ne concerne que le cas où la première décision de sursis est arrivée à expiration « naturellement », c’est-à-dire à l’issue du délai de validité, et non celui où elle a été annulée par le juge administratif ; d’autre part, dès lors que la première décision a justement été annulée pour insuffisance de motivation, la seconde décision ne pourra pas être considérée, par définition, comme reposant sur les mêmes motifs que la première (puisque la décision initiale n’avait justement pas de « motifs » ou, du moins, pas suffisamment). A priori, rien ne s’oppose donc à ce que l’Administration adopte une nouvelle décision de sursis à statuer après une annulation contentieuse pour insuffisance de motivation. Cependant, dans ce cas particulier, faut-il considérer que le délai maximal de 3 ans prévu à l’article L. 424-1 précité ne s’applique pas ?
31. – Le juge administratif a répondu par la négative : après avoir rappelé le contenu du huitième alinéa de l’article L. 424-1 du Code de l’urbanisme, il a eu I’ occasion de relever que « le législateur a entendu limitera trois ans la durée maximale des sursis à statuer ordonnés par l’autorité compétente à une demande d’ utilisation du sol » Note 18 . En conséquence, « si l’annulation d’un acte administratif implique en principe que cet acte est réputé n’être jamais intervenu, la durée pendant laquelle un sursis à statuer a produit ses effets à l’égard du pétitionnaire jusqu’à son annulation contentieuse, doit être prise en compte et affecte la légalité de l’éventuelle nouvelle décision de sursis à statuer prise par l’autorité compétente après l’annulation du premier sursis » Note 19 . Dans cette affaire jugée en 2014, dès lors que le maire avait opposé un premier sursis à statuer le 16 juin 2009 pour une durée maximum de 2 ans, lequel avait été annulé par le tribunal administratif le 16 décembre 2010, il ne pouvait adopter un nouveau sursis à statuer pour une nouvelle période de 2 La durée de validité du second sursis à statuer ne pouvait aller au-delà du 15 juin 2012 afin que soit respectée la durée totale maximale de 3 années.
32. – Il en résulte que, en l’espèce, si l’Administration vient à adopter une nouvelle décision de sursis à statuer, par exemple parce que le PLUiH n’est toujours pas entré en vigueur et que le projet continue d’en compromettre l’exécution, elle doit prendre en compte la durée pendant laquelle le premier sursis à statuer a produit ses effets à l’égard du pétitionnaire jusqu’à son annulation contentieuse par le premier juge, étant précisé que l’appel n’a pas d’effet suspensif. La première décision de sursis à statuer, qui prévoyait une durée de validité maximale de 2 ans, datant du 28 mai 2021, la nouvelle décision de sursis à statuer ne peut donc prévoir une durée de validité au-delà du 27 mai 2024.
33. – Pour les autorités compétentes en matière d’urbanisme, les enseignements à tirer de l’exécution du jugement du tribunal administratif de Besançon du 6 avril 2023 sont doubles. D’une part, lorsque le juge n’ordonne pas le réexamen de la demande d’autorisation d’urbanisme, elles peuvent en théorie attendre la confirmation de sa demande par le pétitionnaire, sans craindre la naissance d’une autorisation Il peut cependant paraître plus prudent de leur conseiller d’ adopter une nouvelle décision sans attendre, dès lors qu’elles restent saisies de la demande initiale. D’autre part, lorsque le juge annule une décision de sursis à statuer pour défaut ou insuffisance de motivation et qu’elles adoptent une nouvelle décision de sursis à statuer, elles doivent s’assurer que la durée totale du sursis n’excède pas 3 ans.
34. – On peut cependant regretter que ce jugement ait nécessité une analyse juridique extrêmement poussée pour en comprendre toutes les subtilités s’agissant de ses modalités d’exécution. Dans d’autres situations, la juridiction administrative, notamment bisontine, sait pourtant se montrer plus explicite et pragmatique afin de guider au mieux les collectivités dans la manière d’exécuter ses Ainsi, plus récemment, après avoir annulé une décision de sursis à statuer en ce qu’elle se fondait sur les mêmes motifs qu’un premier sursis, le tribunal administratif de Besançon a pris soin de préciser :
9. Compte tenu du motif retenu pour annuler les décisions en litige, l’exécution du présent jugement implique seulement que le maire […] initie, à compter de la notification du présent jugement, l’instruction de la demande de permis de construire présentée par M. A. et qu’il le fasse sur le fondement des dispositions d’urbanisme applicables à la date de l’arrêté du 7 décembre 2021. Le délai d’instruction de cette demande à l’expiration duquel le silence gardé par l’administration est susceptible de faire naître un permis de construire tacite respectera les dispositions des articles R. 423-17 et suivants du code de l’urbanisme et notamment celles de l’article R. 423-22 du même code relatif à la prolongation de ce délai suite à la demande éventuelle par l’administration de pièces manquantes (Note 20)
35. – Par cette motivation, le juge a, d’une part, expressément indiqué que l’instruction de la demande devrait se faire en fonction du droit applicable à la date de la décision attaquée et, d’autre part, précisé que les règles relatives à la naissance d’un permis de construire tacite s’appliquaient, allant jusqu’à rappeler aux parties celles concernant la prorogation des délais d’instruction en cas de demande de pièces complémentaires. On ne peut que saluer cette démarche qui facilite grandement l’exécution du jugement par la collectivité défenderesse.
L’essentiel à retenir
- L’exécution du jugement commenté par la collectivité a soulevé d’épineuses questions auxquelles il a pu être répondu par la transposition de la jurisprudence administrative au cas d’espèce.
- S’agissant tout d’abord du moment à partir duquel (‘Administration peut adopter une nouvelle décision, il résulte de la jurisprudence que, à la suite de I’ annulation contentieuse d’une décision de sursis à statuer, la collectivité peut attendre que le pétitionnaire ait confirmé sa demande d’autorisation d’urbanisme sans craindre la naissance d’une autorisation Cependant, par crainte d’un revirement de jurisprudence, il paraît plus prudent de conseiller à la collectivité d’adopter une nouvelle décision sans attendre.
- S’agissant ensuite de la façon dont l’Administration peut adopter une nouvelle décision de sursis à statuer à la suite de l’annulation contentieuse de la première, la collectivité doit prendre en compte la jurisprudence selon laquelle la durée totale des sursis successifs ne peut pas être supérieure à 3
Mots clés : Urbanisme. – Demande d’autorisation d’urbanisme. – Annulation d’un sursis à statuer sans injonction. – Exécution.
Note 1 J. Arthuis, sénateur, rapp. n° 400, 10juin 1992, de la commission d’enquête chargée de recueillir tous éléments d’information sur le fonctionnement des juridictions de l’ordre administratif et l’exécution de leurs décisions ainsi que sur les services chargés du contentieux administratif dans les administrations publiques, créée en vertu d’une résolution adoptée parle Sénat le 10 décembre 1991, p. 32.
Note 2 TA Besançon, 6 avr. 2023, n° 2101588.
Note 3 CE, 23 févr. 2017, n° 395274, B. Côte d’Opale (Sté) : JurisData n° 2017-002856 ; Constr.-Urb. 2017, comm. 51, note X. Couton ; AJDA 2017, p. 441 ; RDI 2017, p. 204, obs. Soler-Couteaux.
Note 4 TA Besançon, 6 avr. 2023, n° 2101588, pt 3.
Note 5 TA Besançon, 6 avr. 2023, n° 2101588, pt 4.
Note 6 TA Versailles, 21 nov. 2016, n° 1402316. – CAA Versailles, 22 nov. 2018, n° 17VE00223. – CE, 22juill. 2020, n° 427163 : JurisDatan° 2020-010761 ; Constr.-Urb. 2020, comm. 101, note X. Couton ; Procédures 2020, comm. 186, note S. Deygas.
Note 7 V. par ex. CAA Nancy, 23 nov. 2021, n° 19NC01928. – TA Besançon, 29 juin 2023, n° 2200697. Il semble ainsi que la solution dégagée par le Conseil d’ État dans son avis du 25 mai 2018 ne s’applique pas aux annulations de sursis à statuer qui ne sauraient, dans ce cas, être assimilées à un refus d’autorisation de construire. Il résultait de cet avis que « lorsque le juge annule un refus d’autorisation ou une opposition à une déclaration après avoir censuré l’ensemble des motifs que l’autorité compétente a énoncés dans sa décision conformément aux prescriptions de l’article L. 424-3 du code de l’urbanisme ainsi que, le cas échéant, les motifs qu’elle a pu invoquer en cours d’instance, il doit, s’il est saisi de conclusions à fin d’injonction, ordonner à l’autorité compétente de délivrer l’autorisation ou de prendre une décision de non-opposition » (CE, avis, 25 mai 2018, n° 417350 : JurisData n° 2018-009063 ; Constr.-Urb. 2021, comm. 107, note M.-A. Rénaux : Dr. adm. 2018, comm. 41, note M. Morales).
Note 8 CE. 18 janv. 1974, min. Aménagement des territoires. – CE, 23 avr. 1975, n° 93961, min. Aménagement des territoires c/Sieurs Perrin et a. – CE, 3 déc. 1975, Cie pour l’équipement, le financement et la construction et Éts particulier des Filles de la Charité. – CAA Lyon, 27 nov. 2007, n° 05LY01122, SCI La Garenne Sud.
Note 9 Deux mois pour les demandes de permis de démolir et pour les demandes de permis de construire portant sur une maison individuelle, au sens du titre III du livre II du Code de la construction et de l’habitation, ou ses annexes.
Note 10 Trois mois pour les autres demandes de permis de construire et pour les demandes de permis d’aménager.
Note 11 CE, 28 déc. 2018, n° 402321, Vaira triomphant Mandarom Aumisme (Assoc.) : JurisData n° 2018-024208 ; JCP A 2019, 2138. note Fr. Polizzi ; Dr. adm. 2019, comm. 19, note B. Henry.
Note 12 TA Lyon, 16 sept. 1998, n° 97-3045, Labruyère : BJDU 1999, p. 153. – TA Lyon, 27 déc. 2001, n° 98LY1450, SCI La Cluiseraz : BJDU 2002, p. 154, chron. Phémolant et Raunet ; Constr.-Urb. 2002, comm. 178, obs. Benoit-Cattin ; RDI 2002, p. 554, obs. Derepas ; DAUH 2003, p. 418, n° 729. – TA Nancy, 22 déc. 2005, n° 03NC00516, Cne Amneville. – TA Lyon, 26 mai 2009, n° 0700323, Cts Bernard : AJDA 2009, p. 1569 ; RDI 2009, p. 496, obs. Soler-Couteaux ; BJDU 2010, p. 78, chron. Carpentier.
Note 13 TA Bastia, 10 déc. 2020, n° 1900495. – CAA Douai, 26 avr. 2023, n° 21DA02693, SARL Le Triangle.
Note 14 CAA Douai, 26 avr. 2023, n° 21DA02693, préc.
Note 15 CAA Nantes, 8 nov. 2019, n° 18NT01390, 18NT01392 et 19NT00034, Groupement foncier agricole Urfie : JurisData n° 2019-020427. Note 16 CAA Nantes, 8 nov. 2019, n° 18NT01390, 18NT01392 et 19NT00034, Groupement foncier agricole Urfie : JurisData n° 2019-020427. Note 17 CAA Nantes, 8 nov. 2019, n° 18NT01390, 18NT01392 et 19NT00034, Groupement foncier agricole Urfie : JurisData n° 2019-020427. Note 18 CAA Marseille, 26 mai 2014, n° 12MA00113 : JCP A 2015, 2078, concl. rapp. Public G. Roux.
Note 19 CAA Marseille, 26 mai 2014, n° 12MA00113 : JCP A 2015, 2078, concl. rapp. Public G. Roux.
Note 20 TA Besançon, 29 juin 2023, n° 2200697, préc.
Source et crédits : Urbanisme – L’exécution de l’annulation d’un sursis à statuer sans injonction . – Commentaire sous TA Besançon, 6 avril 2023, n° 2101588 – Etude par Camille Femandes / Construction – Urbanisme n° 9, Septembre 2023, étude 10