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Les rapports entre un agent et son administration peuvent conduire le premier à saisir le juge administratif afin qu’il rende une décision dans le cadre d’une procédure d’urgence, à savoir le référé et plus particulièrement le référé suspension. Cette voie de droit, prévue par l’article L. 521-1 du code de justice administrative, permet de solliciter la suspension d’une décision, spécialement une sanction, telle qu’une exclusion temporaire de service, voire une révocation.

Le cas échéant, l’agent doit justifier d’une urgence ; une notion toute relative.

La jurisprudence administrative précise que « la condition d’urgence est satisfaite quand la décision administrative préjudicie de manière suffisamment grave et immédiate à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu’il entend défendre » (CE, 19 janvier 2001, Confédération nationale des radios libres, n° 228815).

Les effets de la décision sont appréciés concrètement au regard de la situation du requérant, de manière objective et globale, compte tenu des circonstances de l’espèce (CE, 28 février 2001, Société Sud Est assainissement c/ Préfet des Alpes maritimes, n° 229562). Elle ne doit pas être appréciée du seul point de vue du requérant mais résulte de la mise en balance des intérêts de celui-ci avec l’intérêt général et, le cas échéant, l’intérêt des tiers.

Dans l’hypothèse d’une exclusion ou d’une révocation, le juge administratif considérait que :

« Considérant qu’aux termes du premier alinéa de l’article L. 521-1 du code de justice administrative : Quand une décision administrative, même de rejet, fait l’objet d’une requête en annulation ou en réformation, le juge des référés, saisi d’une demande en ce sens, peut ordonner la suspension de l’exécution de cette décision, ou de certains de ses effets, lorsque l’urgence le justifie et qu’il est fait état d’un moyen propre à créer, en l’état de l’instruction, un doute sérieux quant à la légalité de la décision ;
Considérant que, par une décision du 31 décembre 2008, le directeur du centre hospitalier de Compiègne a prononcé la radiation des cadres de Mme B, agent des services hospitaliers ; que, par l’ordonnance attaquée, le juge des référés du tribunal administratif d’Amiens a rejeté, pour défaut d’urgence, la demande de suspension de l’exécution de cette décision présentée par Mme B ; qu’en se fondant, pour apprécier si la décision litigieuse préjudiciait de manière suffisamment grave et immédiate à la situation de la requérante, sur ce que, compte tenu du travail de son mari, elle ne fournissait pas de précisions sur les ressources et les charges de son foyer, alors qu’un agent public ayant fait l’objet d’une mesure d’éviction qui le prive de sa rémunération n’est pas tenu de fournir de telles précisions à l’appui de sa demande de suspension de l’exécution de cette mesure, le juge des référés du tribunal administratif d’Amiens a commis une erreur de droit ; que Mme B est, dès lors, fondée à demander l’annulation de l’ordonnance qu’elle attaque ».

(CE, 24 juillet 2009, req. n°325638)

Suivant cette décision, l’agent bénéficiait d’une forme de présomption suivant laquelle sa situation, en tant que telle justifiait l’urgence lorsqu’il se trouvait privé de revenus, sans égard pour les revenus de son conjoint, ses charges, etc.

Cependant, par une décision du 18 décembre 2024, le conseil d’Etat a revu sa position, estimant que :

« 3. La condition d’urgence à laquelle est subordonné le prononcé, sur le fondement de l’article L. 521-1 du code de justice administrative, d’une mesure de suspension de l’exécution d’un acte administratif doit être regardée comme remplie lorsque l’exécution de la décision contestée préjudicie de manière suffisamment grave et immédiate à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu’il entend défendre. Une mesure prise à l’égard d’un agent public ayant pour effet de le priver de la totalité de sa rémunération doit, en principe, être regardée, dès lors que la durée de cette privation excède un mois, comme portant une atteinte grave et immédiate à la situation de cet agent, de sorte que la condition d’urgence doit être regardée comme remplie, sauf dans le cas où son employeur justifie de circonstances particulières tenant aux ressources de l’agent, aux nécessités du service ou à un autre intérêt public, qu’il appartient au juge des référés de prendre en considération en procédant à une appréciation globale des circonstances de l’espèce ».

(CE, Ch. Réunies, 18 décembre 2024, req. n°492519)

C’est au visa de cette décision que le juge des référés du tribunal administratif de LYON a considéré que :

« 3. La condition d’urgence à laquelle est subordonné le prononcé, sur le fondement de l’article L. 521-1 du code de justice administrative, d’une mesure de suspension de l’exécution d’un acte administratif doit être regardée comme remplie lorsque l’exécution de la décision contestée préjudicie de manière suffisamment grave et immédiate à un intérêt public, à la situation du requérant ou aux intérêts qu’il entend défendre. Une mesure prise à l’égard d’un agent public ayant pour effet de le priver de la totalité de sa rémunération doit, en principe, être regardée, dès lors que la durée de cette privation excède un mois, comme portant une atteinte grave et immédiate à la situation de cet agent, de sorte que la condition d’urgence doit être regardée comme remplie, sauf dans le cas où son employeur justifie de circonstances particulières tenant aux ressources de l’agent, aux nécessités du service ou à un autre intérêt public, qu’il appartient au juge des référés de prendre en considération en procédant à une appréciation globale des circonstances de l’espèce (CE, 18 décembre 2024, n° 492519 B).
4. Il est constant que la décision en litige prive M. A de sa rémunération à compter du 16 octobre 2024. Toutefois, il résulte de l’instruction et notamment des simulations établies par les services de la commune de Saint-Etienne, non sérieusement contestées, que le montant de l’aide au retour à l’emploi dont pourra bénéficier le requérant sera supérieur à 2 000 euros par mois. Il a également perçu une indemnité de licenciement d’un montant de 6368,85 euros. Le requérant, qui indique que sa rémunération avant son arrêt maladie était d’un montant de 2926,21 euros, était placé à demi-traitement à la date de son licenciement, ainsi que cela ressort de son bulletin de paie d’octobre 2024 qui mentionne au demeurant un  » cumul net imposable  » de 19 584.73 euros le mois précédent. Il fait état de charges mensuelles incompressibles d’un montant de 1185,25 euros auxquelles il convient d’ajouter notamment ses dépenses d’alimentation et n’invoque aucune charge de famille. Par ailleurs, M. A ne justifie pas des conséquences de la décision en litige sur son état de santé déjà dégradé. L’ensemble de ces éléments doivent être regardés comme des circonstances particulières de nature à renverser la présomption d’urgence mentionnée au point 4. Alors même que la décision prive le requérant de sa qualité de fonctionnaire de catégorie A, la condition tenant à l’urgence, ne peut être regardée comme satisfaite.
5. Il résulte de tout ce qui précède, et sans qu’il soit besoin d’examiner la condition tenant au doute sérieux sur la légalité de la décision en litige, que M. A n’est pas fondé à demander la suspension de l’exécution de la décision du 30 septembre 2024 prononçant son licenciement ».

(TA LYON, Ord., 2 janvier 2025, req. n°2412158)

Cette évolution dans l’appréciation de l’urgence vient créer une distinction entre les agents qui se trouvent privés de rémunération selon la durée de cette privation.

Si cette dernière est inférieure à un mois, l’urgence ne semble pas caractérisée et, partant, la requête ne devrait pas donner lieu à l’examen des moyens d’illégalité articulés ; elle devrait donc être rejetée. En revanche, si cette privation excède un mois, l’urgence est en principe admise, mais elle n’est pas acquise pour autant : l’employeur public pourra défendre en mettant en avant des circonstances particulières tenant aux ressources de l’agent, aux nécessités du service ou à un autre intérêt public.

Si ce considérant semble exhaustif, à défaut de faire usage de l’adverbe « notamment », l’inutilisation de celui-ci ne vaut pas exclusion et ne doit pas – en tout état de cause – empêcher le requérant de faire valoir les circonstances propres à sa situation ; ce d’autant moins qu’il appartient au juge des référés de se livrer à une appréciation globale de la situation.

Cette nouvelle approche, moins favorable aux agents dès lors qu’ils perdent le bénéfice d’une présomption leur permettant d’accéder au juge des référés, devrait permettre de trier certaines requêtes, avec une rigueur qui devrait conduire le juge administratif à en nuancer la portée, au fil des décisions à venir et des circonstances mises en avant par les requérants.