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À propos de l’arrêt du Conseil d’État du 2 juin 2023, SCI du 90-94 avenue de la République, n° 461645

Le décret n° 2013-879 du 1er octobre 2013 relatif au contentieux de l’urbanisme a inséré, au sein du code de justice administrative, un article R. 811-1-1. En dérogation à l’article R. 811-1 du même code qui prévoit que toute partie présente dans une instance devant le tribunal administratif peut interjeter appel contre les décisions qu’il rend, seul un recours en cassation est possible s’agissant de certaines décisions adoptées en matière d’urbanisme.

Dans sa version applicable au cas d’espèce, l’article R. 811-1-1 du code de justice administrative disposait :

« Les tribunaux administratifs statuent en premier et dernier ressort sur les recours contre les permis de construire ou de démolir un bâtiment à usage principal d’habitation ou contre les permis d’aménager un lotissement lorsque le bâtiment ou le lotissement est implanté en tout ou partie sur le territoire d’une des communes mentionnées à l’article 232 du code général des impôts et son décret d’application (…) »

Pour reprendre les mots de la Haute juridiction, les communes mentionnées à l’article 232 du code général des impôts sont celles « où la tension entre l’offre et la demande de logements est particulières vive ». La liste de ces communes est fixée par le décret n° 2013-392 du 10 mai 2013, laquelle comprend la ville de Montgeron, située dans le département de l’Essonne, où s’implantait le projet en litige.

Ce projet consistait en la surélévation d’un immeuble, dont la SCI du 90-94 avenue de la République était propriétaire, et de la réalisation, dans cette partie surélevée, de huit logements. Si le maire de la commune de Montgeron accorda le permis de construire sollicité par un arrêté du 5 octobre 2020, c’est en l’assortissant de douze prescriptions. La SCI sollicita alors l’annulation de l’arrêté en tant qu’il comportait l’ensemble des prescriptions qui lui étaient attachées. Le tribunal administratif de Versailles ne fit que partiellement droit à sa demande, si bien que la SCI demanda au Conseil d’État d’annuler son jugement.

Ce dernier était-il bien compétent pour connaître du pourvoi en application de l’article R. 811-1-1 du code de justice administrative ? Pour rappel, cette disposition prévoit, dans sa version applicable au litige, que les tribunaux administratifs statuent en premier et dernier ressort sur les recours dirigés contre les permis de construire un bâtiment à usage principal d’habitation.

Deux questions se posaient alors en l’espèce :

  1. Cette disposition trouve-t-elle à s’appliquer aux recours contre les projets de construction sur un bâtiment existant ou suppose-t-elle nécessairement une construction neuve ?
  2. Qu’entend-on par « bâtiment à usage principal d’habitation » ?

Le Conseil d’État avait déjà répondu à ces questions mais par des décisions distinctes et sans qu’elles ne trouvent à se poser dans une même affaire.

Ainsi, à la première question, la Haute juridiction avait répondu que les dispositions de l’article R. 811-1-1 du code de justice administrative « sont susceptibles de s’appliquer aux permis de construire autorisant la réalisation de travaux sur une construction existante », mais « à la condition que ces travaux aient pour objet la réalisation de logements supplémentaires » (CE, 16 mai 2018, n° 414777).

A la seconde interrogation, il avait répondu que pour l’application des dispositions de l’article R. 811-1-1 du code de justice administrative, « dans le cas où la construction est destinée à différents usages, doit être regardé comme un bâtiment à usage principal d’habitation celui dont plus de la moitié de la surface de plancher est destinée à l’habitation. » (CE, 19 juin 2017, n° 398531).

Dans la décision du 2 juin 2023, le Conseil d’État a joint ces deux solutions en relevant au point 3 que :

« (…) ces dispositions [de l’article R. 811-1-1], qui ont pour objectif, dans les zones où la tension entre l’offre et la demande de logements est particulièrement vive, de réduire le délai de traitement des recours pouvant retarder la réalisation d’opérations de construction de logements, dérogent aux dispositions du premier alinéa de l’article R. 811-1 du code de justice administrative (…) et doivent donc s’interpréter strictement. Si ces dispositions sont susceptibles de s’appliquer aux permis de construire autorisant la réalisation de travaux sur une construction existante, c’est à la condition, d’une part, que les travaux ainsi autorisés aient pour objet la réalisation de logements et, d’autre part, que ces travaux aient un usage principal d’habitation, c’est-à-dire consacrent plus de la moitié de la surface de plancher autorisée à l’habitation. »

Deux conditions cumulatives doivent donc être réunies pour que l’article R. 811-1-1 s’applique à l’égard d’un recours dirigé contre un permis de construire sur un bâtiment existant :

  • Les travaux doivent avoir pour objet la réalisation de logements ;
  • Les travaux doivent consacrer plus de la moitié de la surface de plancher autorisée à l’habitation.

En l’espèce, la surface totale du bâtiment existant était de 862 m2 et la surélévation conduisait à créer 414 m2 supplémentaires. Si la surface existante était destinée exclusivement au commerce, la surélévation était entièrement destinée à l’habitation. Dans ces conditions, le Conseil d’État a jugé que les travaux autorisés portaient bien sur une surface dont plus de la moitié était destinée à l’habitation. On comprend de cette application au cas d’espèce que l’obligation de consacrer plus de la moitié de la surface plancher à l’habitation s’apprécie au regard de la nouvelle surface plancher créée (celle qui est « autorisée ») et non à l’échelle de la totalité de la surface plancher du bâtiment (celle existant auparavant et celle nouvellement créée).

Il en résulte que le Conseil d’État était bien compétent pour connaître du pourvoi, ce qui lui a permis, sur le fond, d’annuler le jugement du tribunal administratif de Versailles en tant qu’il avait rejeté la requête dirigée contre certaines prescriptions du permis de construire.

Cet arrêté est particulièrement éclairant s’agissant des conditions d’application de la dérogation prévue à l’article R. 811-1-1 du code de justice administrative lorsque le projet porte sur une construction existante. On peut cependant regretter que la Haute juridiction ne se soit pas prononcée sur la notion de « logements ». En effet, si elle a dégagé deux conditions cumulatives, elle ne s’est en réalité prononcée que sur la seconde. Or, des interrogations peuvent également se poser sur la notion de « logements » : doit-elle s’entendre au sens de l’arrêté du 10 novembre 2016 définissant les destinations et sous-destinations de constructions pouvant être réglementées par le règlement national d’urbanisme et les règlements des plans locaux d’urbanisme ou les documents en tenant lieu ou répond-elle à une définition propre pour l’application de l’article R. 811-1-1 ? Il est probable que la notion de logements doive s’interpréter au sens de l’article 2 de l’arrêté du 10 novembre 2016 et donc comme recouvrant « les constructions destinées au logement principal, secondaire ou occasionnel des ménages à l’exclusion des hébergements », mais il aurait été bienvenu que le Conseil d’État l’affirme expressément. Cette précision aurait été d’autant plus nécessaire que la nouvelle rédaction de l’article R. 811-1-1 du code de justice administrative, issue du décret n° 2022-929 du 24 juin 2022, prévoit désormais que les tribunaux administratifs statuent en premier et dernier ressort sur les recours contre les permis de construire un bâtiment comportant plus de deux logements. Le texte abandonne ainsi la notion de « bâtiment à usage principal d’habitation » qui était en cause en l’espèce.

Camille FERNANDES

Élève avocate, docteure en droit public