Le droit de se taire ou le droit de garder le silence est une garantie bien connue de la procédure pénale. Il découle du droit de ne pas s’auto-incriminer, qui lui-même est basé sur le principe du respect de la présomption d’innocence et fait partie intégrante du droit à un procès équitable. Ces garanties trouvent leur fondement à l’article 9 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 et à l’article 6 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme.
À l’occasion d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) rendue le 8 décembre 2023, le Conseil constitutionnel a retenu que le droit de se taire s’applique non seulement dans le cadre des procédures suivies devant les juridictions répressives, mais aussi à toute sanction ayant le caractère d’une punition. Cette décision implique que les personnes qui seraient poursuivies disciplinairement ne peuvent être entendues sur les manquements qui leur sont reprochés sans avoir préalablement été informés de leur droit de conserver le silence en général, et sur les faits qui leur sont reprochés en particulier.
Cette position du Conseil constitutionnel s’inscrit cependant en contradiction avec celle qu’a adoptée le Conseil d’État, lequel a précédemment considéré que le droit de se taire s’appliquait uniquement dans le cadre d’une procédure pénale (CE, 23 juin 2023, req. n° 473249). Cependant, la Cour administrative de Paris a récemment annulé une sanction disciplinaire prise contre un fonctionnaire en méconnaissance de son droit de garder le silence en matière disciplinaire (CAA PARIS, 2 avril 2024, req. n°22PA03578). Dans un arrêt du 2 avril 2024, elle a estimé que l’absence de notification du droit de se taire lors de la procédure disciplinaire a privé l’intéressé d’une garantie procédurale. La Cour a ainsi reconnu à « un fonctionnaire faisant l’objet de poursuites disciplinaires » le droit de se taire et son corollaire, celui d’être informé du droit à garder le silence :
« 2. Aux termes de l’article 9 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 : » Tout homme étant présumé innocent jusqu’à ce qu’il ait été déclaré coupable, s’il est jugé indispensable de l’arrêter, toute rigueur qui ne serait pas nécessaire pour s’assurer de sa personne doit être sévèrement réprimée par la loi « . Il en résulte le principe selon lequel nul n’est tenu de s’accuser, dont découle le droit de se taire. Ces exigences s’appliquent non seulement aux peines prononcées par les juridictions répressives, mais aussi à toute sanction ayant le caractère d’une punition. Elles impliquent que le fonctionnaire faisant l’objet de poursuites disciplinaires ne puisse être entendu sur les manquements qui lui sont reprochés sans qu’il soit préalablement informé du droit qu’il a de se taire.
3. En l’espèce, M. A… soutient sans être contredit par le groupe hospitalier universitaire Paris Psychiatrie et Neurosciences, lequel n’a d’ailleurs pas produit de mémoire en défense, qu’il n’a pas été informé du droit qu’il avait de se taire lors de la procédure disciplinaire. Dès lors, M. A… est fondé à soutenir que, du fait de la privation de cette garantie, la sanction disciplinaire litigieuse est intervenue au terme d’une procédure irrégulière et doit être annulée.
4. Il résulte de ce qui précède que M. A… est fondé à soutenir que c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Paris a rejeté sa demande ».
En pratique, les employeurs publics ont donc tout intérêt à faire mention de ce droit au stade de l’engagement de la procédure disciplinaire, en particulier à l’occasion de l’expédition du courrier informant l’agent de l’ouverture d’une procédure disciplinaire, en y incluant cette nouvelle garantie, aux côtés des autres garanties procédurales et droits de l’agent poursuivi que le droit à la communication du dossier, le droit à l’assistance d’un défenseur de son choix et le droit de produire des observations écrites ou orales.