Le principe de neutralité des personnes publiques était au cœur de la présente affaire qui mettait en cause l’installation par des personnes privées, en 2014, d’une statue de la Vierge Marie, d’une hauteur de 3,60 mètres, sur un terrain communal, au sommet du Mont-Châtel. Des administrés de la commune, visiblement gênés par la présence de la statue malgré le fait qu’elle ne soit visible que depuis le promontoire rocheux du mont, par ailleurs difficilement accessible, ont demandé au maire de faire déposer la statue, ce qu’il a implicitement refusé. Les habitants ont alors sollicité l’annulation de cette décision devant le tribunal administratif de Grenoble. Face au rejet de leur demande, ils ont saisi la cour administrative d’appel de Lyon qui a prononcé l’annulation de la décision implicite de refus et a enjoint au maire de procéder à l’enlèvement de la statue. Le Conseil d’État devait alors statuer sur le pourvoi formé contre cet arrêt par la commune et décider si la statue pouvait demeurer sur le terrain communal alors même qu’une croix romaine était déjà implantée sur celui-ci et que la parcelle recevait de longue date, notamment à l’occasion de la Pentecôte, des processions religieuses.
En statuant sur ce pourvoi, le Conseil d’État a apporté deux précisions importantes s’agissant de l’interdiction, résultant de l’article 28 de la loi du 9 décembre 1905, d’apposer un signe ou emblème religieux sur un emplacement public : d’une part, la parcelle en cause, en dépit de ce qui vient d’être rappelé, ne pouvait être considérée comme un « édifice servant au culte » et ne pouvait donc bénéficier de l’une des exceptions à l’interdiction prévue par la loi ; d’autre part, l’interdiction devait s’appliquer, quand bien même la parcelle aurait appartenu au domaine privé de la commune.
La parcelle en cause n’est pas un « édifice servant au culte »
L’article 28 de la loi du 9 décembre 1905 « interdit, à l’avenir, d’élever ou d’apposer aucun signe ou emblème religieux sur les monuments publics ou en quelque emplacement public que ce soit, à l’exception des édifices servant au culte, des terrains de sépulture dans les cimetières, des monuments funéraires, ainsi que des musées ou expositions. »
Cette disposition, dont l’absence d’effet rétroactif est explicitement mise en évidence par l’expression « à l’avenir », ne s’applique qu’aux signes ou emblèmes élevés ou apposés après 1905. C’est la raison pour laquelle la présence d’une croix romaine sur la même parcelle, qui a été érigée bien avant le XVIIIème siècle, ne pouvait être contestée par les habitants de la commune. En revanche, depuis 1905, il est en principe interdit d’apposer de nouveaux signes ou emblèmes religieux dans un espace public, sous réserve des exceptions énoncées par la loi. Ce principe et ses exceptions sont régulièrement appliquées par le juge administratif, notamment à l’occasion des fêtes de Noël et de l’installation, par certaines collectivités, de crèches de la nativité (voir, par ex., CAA de Lyon, 26 août 2021, n°19LY00309 ; TA de Nîmes, 25 juin 2020, n°1703896 ; CAA de Lyon, 25 juin 2019, n°17LY03989).
Si l’installation de crèches a été l’occasion pour le juge de préciser l’étendue de l’exception permettant d’exposer des signes religieux dans le cadre d’une « exposition », l’affaire ici commentée a conduit le juge à se prononcer sur l’application de l’exception autorisant l’élévation d’emblèmes religieux au sein d’édifices servant au culte. La commune faisait en effet valoir que dans la mesure où le terrain était un lieu accueillant des processions religieuses, voire des messes en certaines occasions, il devait être regardé comme un « édifice servant au culte ». Le Conseil d’État a rejeté cet argument, suivant en ce sens les conclusions du rapporteur public qui prônait une interprétation stricte de l’article 28 de la loi de 1905, compte tenu de sa finalité qui est « d’assurer la neutralité des personnes publiques à l’égard des cultes » (Romain VICTOR, conclusions sous CE, 11 mars 2022, Commune de Saint-Pierre d’Alvey, n°454076 et 456932). Le rapporteur public indiquait en effet que l’exception visant les « édifices servant au culte » devait être entendue comme concernant uniquement les « édifices » au sens propre, à savoir « un ouvrage architectural incorporé au sol et non le sol lui-même. » Un terrain ne pourrait alors être regardé comme un « édifice ». Même si le Conseil d’État n’a pas repris expressément cette motivation, il a visiblement été sensible à l’interprétation proposée par le rapporteur public en jugeant que la cour administrative d’appel n’avait pas inexactement qualifié les faits en décidant que la parcelle « ne saurait être regardée comme constituant par elle-même un édifice servant au culte. »
L’interdiction d’apposer un signe ou emblème religieux s’applique au domaine privé des personnes publiques
La commune faisait valoir que l’interdiction issue de l’article 28 de la loi de 1905 ne pouvait trouver à s’appliquer dans la mesure où la parcelle en cause appartiendrait à son domaine privé. Autrement dit, l’interdiction ne s’appliquerait qu’aux biens relevant du domaine public des personnes publiques.
Comme l’a rappelé le rapporteur public dans ses conclusions, la question de l’application de l’interdiction aux biens relevant du domaine privé d’une commune avait déjà été posée dans une décision du Conseil d’État de 2017, mais sans que ce dernier ne se prononce sur l’existence d’une règle de portée générale (CE, 25 oct. 2017, Fédération morbihannaise de la libre pensée et autres, n°396990, T. pp. 446-595). Dans cette affaire, la Haute juridiction avait simplement jugé que l’érection d’une statue de Jean-Paul II sur une place publique était illégale, sans que la personne publique ne soit utilement fondée à se prévaloir du fait que la parcelle communale aurait fait l’objet d’un « déclassement postérieur ».
L’affaire commentée était donc l’occasion pour le Conseil d’État d’énoncer un principe de portée générale. C’est ainsi qu’il est venu préciser qu’ « il ne résulte ni des dispositions précitées de l’article 28 de la loi du 9 décembre 1905 ni d’aucune autre disposition législative que l’interdiction « à l’avenir, d’élever ou d’apposer aucun signe ou emblème religieux (…) en quelque emplacement public que ce soit » serait limitée aux seules dépendances du domaine public, sans devoir aussi trouver application au domaine privé des personnes publiques. »
Cette précision est bienvenue et elle se justifie pleinement dans la mesure où, ainsi que l’a très justement relevé le rapporteur public, « la loi de 1905 ne raisonne nullement en termes de domanialité publique, mais seulement en termes de propriété publique ou d’acteur public, conformément à son objet qui est d’éviter qu’une personne publique ne marque sa préférence pour un culte. » En effet, l’interdiction posée à l’article 28 de la loi de 1905 s’applique à tout « emplacement public », sans distinguer selon que celui-ci appartienne au domaine public ou privé de la personne publique. Toute solution contraire, en plus d’aller à l’encontre de l’esprit du texte, ferait en outre courir un risque de « contournement majeur de la loi » (Romain VICTOR, conclusions précitées).