Septembre 2023 constituera un mois important en droit électoral dans la mesure où il verra le renouvellement des 170 sièges de la série 1 du Sénat. C’est l’occasion de revenir sur un contentieux méconnu qui mérite pourtant l’attention tant il est privé de tout repère.
Pour rappel, sur les 348 sénateurs composant le Sénat, 326 sont élus dans les départements[1]. Dans chaque département, le collège électoral est composé des députés et sénateurs, des conseillers régionaux de la section départementale correspondant au département, et des délégués des conseils municipaux[2]. Chaque renouvellement implique donc, six semaines au moins avant l’élection des sénateurs[3], la désignation des délégués des conseils municipaux dans les conditions prévues aux articles L283 à L293 et R131 à R148 du code électoral. Le nombre de délégués à désigner et le mode de scrutin dépendent du nombre d’habitants dans les communes concernées.
S’agissant tout d’abord du nombre de délégués, dans les communes de moins de 9 000 habitants, les conseils municipaux élisent parmi leurs membres entre un et quinze délégués en fonction du nombre de membres de chaque conseil municipal[4]. Dans les communes de 9 000 habitants et plus, tous les conseillers municipaux sont délégués de droit[5]. En outre, dans les communes de plus de 30 000 habitants, les conseils municipaux élisent des délégués supplémentaires à raison de 1 pour 800 habitants en sus de 30 000[6].
S’agissant ensuite du mode de scrutin, dans les communes de moins de 1000 habitants, le vote a lieu au scrutin secret majoritaire à deux tours, sachant que les candidats peuvent se présenter soit isolément, soit sur une liste qui peut ne pas être complète. Les adjonctions et les suppressions de noms sont autorisées[7]. Dans les communes de 1000 habitants et plus l’élection a lieu sur la même liste suivant le système de la représentation proportionnelle avec application de la règle de la plus forte moyenne, sans panachage ni vote préférentiel. Les listes peuvent comprendre un nombre de noms inférieur au nombre de sièges de délégués et de suppléants à pourvoir. Chaque liste de candidats aux fonctions de délégués et de suppléants est composée alternativement d’un candidat de chaque sexe[8].
Le code électoral prévoit qu’à l’issue des élections des délégués, un tableau qui recense les électeurs sénatoriaux, lequel est établi par le préfet et rendu public au plus tard le septième jour suivant l’élection des délégués et de leurs suppléants[9].
Les opérations électorales relatives à la désignation des délégués peuvent faire l’objet de différents types de protestations : d’une part, le tableau fixant la liste des électeurs sénatoriaux peut faire l’objet d’un recours devant le tribunal administratif[10] qui peut être présenté par tout membre du collège électoral sénatorial du département[11] ; d’autre part, la régularité de l’élection des délégués et suppléants d’une commune peut être contestée, devant le tribunal administratif, par le préfet ou par les électeurs de cette commune[12]. Dans les deux cas, la décision rendue par le tribunal administratif ne peut être contestée que devant le Conseil constitutionnel saisi de l’élection[13].
Dans ces conditions, la désignation des délégués des conseils municipaux est susceptible, à chaque renouvellement de la composition du Sénat, d’être source d’un contentieux riche d’apprentissage. Deux affaires jugées par le tribunal administratif de Besançon en témoignent particulièrement : la première concerne les règles de notification des recours ; la seconde est relative aux règles de composition des listes de candidats à l’élection des délégués.
Précisions sur les règles de notification des recours relatifs à l’élection des délégués
En 2020 le tribunal administratif de Besançon a été saisi d’une protestation contre l’élection des délégués du conseil municipal de Ronchamp, dans le département de la Haute-Saône. Par deux requêtes qui résultaient à la fois d’un des conseillers municipaux et du préfet[14], il était reproché au maire de la commune d’avoir déclaré certains bulletins comme étant nuls. L’un des points importants de l’affaire résultait cependant non pas du fond du dossier, mais de l’application des règles de notification des protestations.
Sur ce point, l’article R147 du code électoral prévoyait à l’époque :
« Les recours visés à l’article L. 292 doivent être présentés au tribunal administratif dans les trois jours de la publication du tableau. Le président de ce tribunal notifie sans délai les réclamations dont il est saisi aux délégués élus et les invite en même temps soit à déposer leurs observations écrites au greffe du tribunal avant la date de l’audience, soit à présenter à l’audience leurs observations orales.
La date et l’heure de l’audience doivent être indiquées sur la convocation.
Le tribunal administratif rend sa décision dans les trois jours à compter de l’enregistrement de la réclamation et la fait notifier aux parties intéressées et au préfet. »
Compte tenu des délais contraints résultant de ces dispositions, le tribunal administratif de Besançon avait cru devoir faire l’économie de notifier les protestations aux conseillers municipaux, notamment ceux dont l’élection était contestée.
Deux candidats à l’élection ont saisi le Conseil constitutionnel sur le fondement de l’article L292 du code électoral, notamment en faisant valoir cette irrégularité procédurale. Toutefois, les Sages ont considéré que :
« 4. (…) il n’appartient pas au Conseil constitutionnel, saisi de la contestation du jugement d’un tribunal administratif ayant statué sur un recours formé en application de l’article L. 292 du code électoral, de se prononcer sur la régularité de la procédure suivie devant le tribunal administratif. Par suite, les griefs tirés de ce que le tribunal aurait statué au terme d’une procédure irrégulière ne peuvent qu’être écartés. »[15]
Cette position du Conseil constitutionnel peut sembler regrettable dans la mesure où, dès lors qu’il est le seul à pouvoir connaître d’une contestation contre le jugement rendu par le tribunal administratif, aucune juridiction ne peut donc sanctionner les irrégularités imputables à cette juridiction de première instance.
En revanche, on peut saluer le fait que le gouvernement ait, lui, tiré les conséquences d’une telle irrégularité en vue des opérations électorales à venir, notamment celle de septembre 2023.
Tout d’abord, un décret du 23 mars 2023 est venu préciser, à l’article R147 du code électoral, que la notification des protestations électorales doit être réalisée par le président du tribunal administratif « par tous moyens »[16]. Il en va de même de la notification de la décision qui doit être faite « par tous moyens » aux parties intéressées et au préfet[17].
Ensuite, quelques jours plus tard, le ministère de l’Intérieur et des Outre-Mer a publié une instruction précisant l’application de l’article R147 du code électoral[18] :
Aussi, le cabinet DSC AVOCATS ne peut que se féliciter d’avoir, en dépit de la décision du Conseil constitutionnel, permis de faire prévaloir des principes aussi essentiels que ceux du contradictoire et des droits de la défense.
Précisions sur les règles de compositions des listes de candidats à l’élection des délégués
Plus récemment, le même tribunal était conduit à se prononcer, sur recours du préfet, sur la liste unique des candidats aux fonctions de délégué dans la commune jurassienne de Salins Les Bains[19]. Dans cette commune, compte tenu de sa démographie, 7 délégués et 4 suppléants devaient être élus le 9 juin 2023 par le conseil municipal selon le système de la représentation proportionnelle avec application de la règle de la plus forte moyenne, sans panachage ni vote préférentiel. En application de l’article L289 du code électoral, la liste de candidats devait être composée alternativement d’un candidat de chaque sexe. Or, d’après le préfet, la liste de candidats ne respectait pas cette règle de parité stricte.
La commune soutenait que la liste contestée par le préfet – qui ne respectait effectivement pas la règle d’alternance d’un nom de chaque sexe – était celle des délégués élus et non celle des candidats, lesquels ont été inscrits sur une autre liste qu’elle a produit à l’instance et qui respectait bien, pour sa part, l’alternance entre un candidat de sexe féminin et un candidat de sexe masculin.
Cependant, le tribunal, par un effort d’interprétation du déféré préfectoral, a censuré les élections afin, vraisemblablement, de purger les opérations électorales à venir de toute irrégularité, en retenant que :
« Toutefois, à supposer même que cette liste de candidats ait été transmise au préfet du Jura, il résulte des dispositions de l’article L. 289 du code électoral que l’élection a lieu sans panachage ni vote préférentiel de sorte que les candidats sont proclamés élus dans l’ordre de présentation de la liste telle qu’elle a été déposée auprès du maire. Par suite, une telle composition, telle qu’elle résulte de la proclamation des résultats, n’est pas conforme à l’article L. 289 du code électoral. »
Pour autant, l’on ne peut que s’interroger sur la portée de l’annulation des élections pour ce motif dès lors qu’une telle irrégularité n’altère en rien la sincérité du scrutin d’une part, et que le tribunal – en présence d’une seule liste – avait la possibilité de le réformer pour proclamer les résultats en suivant la liste des candidats, d’autre part.
[1] Article LO274 du code électoral.
[2] Article L280 du code électoral.
[3] Article L283 du code électoral.
[4] Article L284 du code électoral.
[5] Article L285 du code électoral.
[6] Ibidem.
[7] Article L288 du code électoral.
[8] Article L289 du code électoral.
[9] Article R146 du code électoral.
[10] Article L292 du code électoral.
[11] Ibidem.
[12] Ibidem.
[13] Ibidem.
[14] Tribunal administratif de Besançon, 23 juillet 2020, n° 2001016 et 2001021.
[15] Conseil constitutionnel, décision n° 2020-5684/5686 SEN du 26 février 2021 SEN, Haute-Saône, M. André KORNMANN et autre.
[16] Article 1er du décret n° 2023-198 du 23 mars 2023 relatif à la désignation des électeurs sénatoriaux et au grammage des circulaires et bulletins utilisés lors de l’élection des sénateurs.
[17] Ibidem.
[18] Instruction du 30 mars 2023 du ministre de l’Intérieur et des Outre-mer relative à la désignation des délégués des conseils municipaux et de leurs suppléants et établissement du tableau des électeurs sénatoriaux, NOR : IOMA2308397J.
[19] Tribunal administratif de Besançon, 22 juin 2023, n° 2301164.