Le 13 mai 2024, le conseil d’Etat a procédé a un revirement de jurisprudence concernant la computation des délais de recours devant les juridictions administratives. Cette décision, qui n’est pas isolée, interpelle néanmoins sur sa portée, tout particulièrement s’agissant des recours non-juridictionnels.
Les faits à l’origine de cette décision concernent un médecin gynécologue-obstétricien qui a porté plainte contre une sage-femme devant la chambre disciplinaire de l’ordre des sages-femmes. Sa plainte a été rejetée par la chambre disciplinaire de première instance, le contraignant à contester cette décision devant la chambre disciplinaire nationale de l’ordre des sages-femmes qui a annulé la décision de première instance et prononcé un blâme à l’encontre de la sage-femme par une décision du 16 avril 2021.
En présence de cette décision, la sage-femme s’est pourvue devant le conseil d’Etat en faisant valoir que le recours introduit par le médecin devant la chambre nationale était tardif ; étant précisé que les instances disciplinaires doivent être regardées comme étant, ici, des juridictions administratives spécialisées.
La problématique soumise au conseil d’Etat devait le conduire à déterminer la date à laquelle un recours adressé par voie postale devait être adressé à la juridiction.
En la matière, le code de justice administrative, plus précisément l’article R. 421-1 de ce code, énonce que :
« La juridiction ne peut être saisie que par voie de recours formé contre une décision, et ce, dans les deux mois à partir de la notification ou de la publication de la décision attaquée »
Toutefois, dans sa décision, le conseil d’Etat – qui intervenait ici comme juge de cassation est parti du principe que :
« Sauf dispositions législatives ou réglementaires contraires, telles les dispositions relatives à la contestation des élections politiques ou celles prévoyant des délais exprimés en heures ou expirant à un horaire qu’elles précisent, la date à prendre en considération pour apprécier si un recours contentieux adressé à une juridiction administrative par voie postale a été formé dans le délai de recours contentieux est celle de l’expédition du recours, le cachet de la poste faisant foi ».
Il a ensuite rappelé les dispositions spéciales applicables propres au contentieux disciplinaire qui lui était soumis et les règles particulières qui s’appliquent à raison de la distance (les faits s’étant déroulé en Polynésie française et les parties y résidant), avant d’en déduire que :
« 4. Il ressort des pièces de la procédure suivie devant les juges du fond que la décision de la chambre disciplinaire de première instance du secteur I de l’ordre des sages-femmes a été notifiée à Mme B… le 5 février 2021, le courrier procédant à cette notification comportant les mentions prévues à l’article R. 4126-44 du code de la santé publique et citées au point précédent. Si l’appel formé par Mme B… contre cette décision, qui a été adressé par voie postale, n’a été enregistré au greffe de la chambre disciplinaire nationale de l’ordre des sages-femmes que le 16 avril 2021, il n’est pas contesté qu’il a été expédié le 31 mars 2021 depuis la Polynésie française, où réside Mme B…, soit avant l’expiration du délai d’appel imparti de trente jours, augmenté du délai de distance d’un mois, résultant des dispositions citées au point 3. Par suite, Mme D… n’est pas fondée à soutenir que l’appel de Mme B… était tardif et à demander, pour ce motif, l’annulation de la décision qu’elle attaque, qui a fait droit à cet appel ».
Le conseil d’Etat considère donc désormais que le recours doit être expédié avant le délai de recours, lorsqu’il est adressé par voie postale ; et non plus introduit dans ce délai, c’est-à-dire réceptionné.
Cette décision interpelle quant à sa portée.
Sur ce point, le conseil d’Etat prend soin de rappeler qu’il ne s’agit pas de déroger aux textes et contentieux particuliers relatifs, par exemple, au contentieux électoral, mais encore ceux dont les délais de recours sont exprimés en jour ou en heure. Autrement dit, pour ces derniers le revirement opéré est sans emport.
En revanche, si le conseil d’Etat semble restreindre sa solution aux recours juridictionnels, rien ne permettrait d’écarter la transposition de sa solution aux recours gracieux et aux recours hiérarchiques. Tant et si bien que la règle du cachet faisant foi, qu’il consacre, pourrait parfaitement leur être transposée dans le silence des textes.
Certes, la nouvelle règle du jeu de la recevabilité d’un recours est présentée par la Cour suprême comme une harmonisation pour les justiciables des règles de saisine du juge administratif, en clair établir une « égalité de traitement » entre les usagers déposant leurs recours par la voie du Télérecours citoyen et ceux adressant leur recours par voie postal.
L’incertitude quant aux recours gracieux et hiérarchiques reste donc entière, étant rappelé que les RAPO sont régis par des règles spécifiques.
Ainsi pour les recours juridictionnels, le cas échéant pour les recours gracieux et hiérarchiques, c’est moins l’introduction du recours (donc la réception) que la date à laquelle il est formé (date d’expédition suivant le cachet de la poste) qui devrait retenir l’attention à présent.
Si cette solution peut paraître plus confortable en permettant de former un recours jusqu’au dernier jour, la dernière heure et la dernière minute, la prudence et la sécurité aux vu des incertitudes sus présentées commandent de poursuivre suivant l’ancienne règle et de s’assurer que le recours a été expédié, mais surtout reçu dans le délai du recours contentieux.