Les textes et la jurisprudence forment un corpus juridique relativement favorable aux fonctionnaires victimes d’un accident ou d’une maladie imputable au service.
Les textes, plus précisément le code général de la fonction publique (ci-après « CGFP »), ouvrent droit à un congé pour invalidité temporaire imputable au service (dit « CITIS ») dans trois cas de figure :
– L’accident de service (article L. 822-18 du CGFP) ;
– L’accident de trajet (article L. 822-19 du CGFP) ;
– La maladie professionnelle (article L. 822-20 du CGFP).
Le fonctionnaire peut bénéficier de l’un de ces congés à condition d’en faire la demande, dans des délais et formes prévus par décret et qui varient selon qu’il s’agisse d’un accident ou d’une maladie.
Enfin, la jurisprudence permet aux fonctionnaires de solliciter une indemnisation complémentaire afin de parvenir à une réparation intégrale des préjudices subis.
1. L’accident de service prévu par l’article L. 822-18 du CGFP
Aux termes de l’article L. 822-18 du CGFP :
« Est présumé imputable au service tout accident survenu à un fonctionnaire, quelle qu’en soit la cause, dans le temps et le lieu du service, dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice par le fonctionnaire de ses fonctions ou d’une activité qui en constitue le prolongement normal, en l’absence de faute personnelle ou de toute autre circonstance particulière détachant l’accident du service ».
L’accident de service répond à plusieurs conditions que le juge administratif a énoncé au fil de ses décisions.
Il s’agit en premier lieu d’un évènement survenu sur le temps et le lieu du service, ce qui exclut en principe les évènements survenus en dehors du lieu de travail et/ou des horaires de travail.
Cependant, et tout particulièrement depuis le confinement et le COVID, la pratique du télétravail a immanquablement été source d’interrogations qui restent tributaires des circonstances propres à chaque situation.
Ainsi, le tribunal administratif de Paris a jugé que :
« 11. Il ressort des pièces du dossier que Mme C… ne disposait que de 45 minutes pour déjeuner. Au vu notamment de la brièveté de ce laps de temps, son déjeuner à domicile doit être regardé comme constituant un prolongement normal de son activité en télétravail. La circonstance qu’elle ne se soit pas reconnectée durant l’après-midi, à la supposer établie, n’est pas de nature à établir l’absence de lien avec le service alors même, au demeurant, que le décès est la conséquence des faits survenus à l’heure du déjeuner, alors qu’elle se trouvait, comme il a été mentionné, dans le prolongement de son activité ».
(TA Paris, 12 mai 2023, n° 2127166 et 2127642)
Tandis que le Tribunal de Rennes a considéré que :
« 3. Il résulte notamment de ces dispositions que le temps de pause n’est comptabilisé comme du temps de travail effectif que pour autant que l’agent a l’obligation, à raison de fonctions spécifiques, d’être joint à tout moment afin d’intervenir immédiatement pour assurer son service et ne peut dès lors, pendant cette période, vaquer librement à ses occupations personnelles.
4. En l’espèce, il ressort des pièces du dossier que l’accident en cause est survenu alors que la requérante manipulait un couteau à pain avec lequel elle s’est coupé un doigt lors de sa pause déjeuner à 12h05 dans sa cuisine. Toutefois, alors que l’intéressée a déclaré à l’administration une plage de travail de 7h45 à 11h55 le jour de l’accident et qu’elle n’allègue pas avoir exercé des fonctions spécifiques nécessitant qu’elle puisse être jointe à tout moment afin d’intervenir immédiatement pour assurer son service, elle ne peut pas être regardée comme ayant été victime d’un accident de service durant son temps de travail. Outre que la requérante n’invoque pas utilement les dispositions de l’article L. 3121-2 du code du travail qui prévoient que le temps de restauration et les temps de pause sont considérés comme du temps de travail effectif, en tout état de cause, ces dispositions doivent être combinées avec celles de l’article L. 3121-1 du même code qui disposent le travail effectif est le » () temps pendant lequel le salarié est à disposition de l’employeur et se conforme à ses directives sans pouvoir vaquer librement à des occupations personnelles. « . Par suite, à supposer que la requérante ait entendu les soulever, les moyens tirés d’une erreur de droit et d’une erreur manifeste d’appréciation ne peuvent qu’être écartés.
5. Il résulte de tout ce qui précède, sans qu’il soit besoin d’examiner la fin de non-recevoir opposée en défense, que la requête de Mme B doit être rejetée ».
(TA Rennes, 21 nov. 2023, n° 2200546)
En deuxième lieu, l’évènement – en tant que tel – doit aussi présenter certaines caractéristiques, à savoir :
« Constitue un accident de service, pour l’application des dispositions précitées, un évènement survenu à une date certaine, par le fait ou à l’occasion du service, dont il est résulté une lésion, quelle que soit la date d’apparition de celle-ci. »
(CAA Lyon, 23 janvier 2024, req. n°22LY00432)
Il doit encore s’agir :
« Un événement soudain et violent susceptible d’être qualifié d’accident de service, quels que soient les effets qu’il a pu produire sur l’agent »
(CAA Lyon, 23 janvier 2024, req. n°22LY00432)
2. L’accident de trajet prévu par l’article L. 822-19 du CGFP :
Aux termes de l’article L. 822-19 du CGFP :
« Est reconnu imputable au service, lorsque le fonctionnaire ou ses ayants droit en apportent la preuve ou lorsque l’enquête permet à l’autorité administrative de disposer des éléments suffisants, l’accident de trajet dont est victime le fonctionnaire qui se produit sur le parcours habituel entre le lieu où s’accomplit son service et sa résidence ou son lieu de restauration et pendant la durée normale pour l’effectuer, sauf si un fait personnel du fonctionnaire ou toute autre circonstance particulière étrangère notamment aux nécessités de la vie courante est de nature à détacher l’accident du service ».
Là encore, le juge est venu préciser les conditions d’octroi d’un tel congé :
« Est réputé constituer un accident de trajet tout accident dont est victime un agent public qui se produit sur le parcours habituel entre le lieu où s’accomplit son travail et sa résidence et pendant la durée normale pour l’effectuer, sauf si un fait personnel de cet agent ou toute autre circonstance particulière est de nature à détacher l’accident du service »
(CE, 3 novembre 2023, n° 459023)
Suivant cette décision, l’accident pourra être reconnu comme étant imputable au service si l’accident dont l’agent a été victime est survenu sur le parcours qu’il emprunte habituellement pour aller de son domicile à son lieu de travail, et inversement de son lieu de travail à son domicile.
3. La maladie professionnelle prévue par l’article L. 822-20 du CGFP :
Aux termes de l’article L. 822-20 du CGFP :
« Est présumée imputable au service toute maladie désignée par les tableaux de maladies professionnelles mentionnés aux articles L. 461-1 et suivants du code de la sécurité sociale et contractée dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice par le fonctionnaire de ses fonctions dans les conditions mentionnées à ce tableau.
Si une ou plusieurs conditions tenant au délai de prise en charge, à la durée d’exposition ou à la liste limitative des travaux ne sont pas remplies, la maladie telle qu’elle est désignée par un tableau peut être reconnue imputable au service lorsque le fonctionnaire ou ses ayants droit établissent qu’elle est directement causée par l’exercice des fonctions.
Peut également être reconnue imputable au service une maladie non désignée dans les tableaux de maladies professionnelles mentionnés aux articles L. 461-1 et suivants du code de la sécurité sociale lorsque le fonctionnaire ou ses ayants droit établissent qu’elle est essentiellement et directement causée par l’exercice des fonctions et qu’elle entraîne une incapacité permanente à un taux déterminé et évalué dans les conditions prévues par décret en Conseil d’Etat ».
La maladie professionnelle répond à un double régime, selon que la maladie figure ou non aux tableaux des maladies professionnelles.
Dans le premier cas, l’agent bénéficie d’une présomption qui facilitera l’instruction de sa demande, ainsi que ses démarches et l’octroi du congé.
Dans le second cas, il lui faut rapporter la preuve que la maladie est « essentiellement et directement » causée par l’exercice des fonctions d’une part, et qu’elle entraine, d’autre part, une incapacité supérieure à un taux de 25% suivant un renvoi à l’article R. 461-8 du code de la sécurité sociale, par :
– L’article 47-8 du Décret n°86-442 du 14 mars 1986 relatif à la désignation des médecins agréés, à l’organisation des conseils médicaux, aux conditions d’aptitude physique pour l’admission aux emplois publics et au régime de congés de maladie des fonctionnaires pris dans sa rédaction issue du Décret n° 2019-122 du 21 février 2019 relatif au congé pour invalidité temporaire imputable au service dans la fonction publique de l’Etat ;
– L’article 35-8 du Décret n°88-386 du 19 avril 1988 relatif aux conditions d’aptitude physique et aux congés de maladie des agents de la fonction publique hospitalière pris dans sa rédaction issue du Décret n°2020-566 du 13 mai 2020 relatif au CITIS ;
– L’article 37-8 du Décret n°87-602 du 30 juillet 1987 pris pour l’application de la loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale et relatif à l’organisation des comités médicaux, aux conditions d’aptitude physique et au régime des congés de maladie des fonctionnaires territoriaux pris dans sa rédaction issue du Décret n° 2019-301 du 10 avril 2019 relatif au congé pour invalidité temporaire imputable au service dans la fonction publique territoriale.
4. La demande de CITIS
La demande de reconnaissance doit être présentée suivant un formulaire diffusé en ligne :
– Pour les accidents de service : Déclaration d’accident de service – accident de trajet – Fonction publique (Modèle de lettre) | Service-Public.fr
– Pour les maladies professionnelles : Déclaration de maladie professionnelle – Fonction publique (Formulaire) | Service-Public.fr
Toutefois, cette demande peut être formalisée par courrier dès lors que cette même demande fait état de la date de l’accident, des circonstances dans lesquelles il est survenu.
La demande doit en tout état de cause être accompagnée d’un certificat médical.
Enfin, et surtout, la demande droit être présentée dans les délais.
En matière d’accident, la demande doit être formalisée dans les 15 jours qui suivent l’accident, conformément à :
– L’article 47-3 du Décret 86-442 pour la fonction publique d’Etat ;
– L’article 35-3 du Décret n°88-386 pour la fonction publique hospitalière ;
– L’article 37-3 du Décret n°87-602 pour la fonction publique territoriale.
Au plus, les textes prévoient que la demande peut être formalisée dans les 15 jours qui suivent la première constatation médicale, laquelle doit intervenir dans les deux ans qui suivent la date de l’accident (al. 2 du I( des textes précités.
En matière de maladie professionnelle, le II des textes précités prévoient que la demande est adressée à l’administration dans un délai de deux ans à compter de la date de première constatation médicale de la maladie ou d’un certificat médical faisant état d’un lien possible entre sa maladie et son activité professionnelle.
5. L’indemnisation complémentaire issue de la jurisprudence Moya-Caville
Le conseil d’Etat a, par sa jurisprudence dite « Moya-Caville », reconnu aux fonctionnaires la possibilité de solliciter une indemnisation complémentaire.
Si le principe d’une telle indemnisation ne pose pas de difficultés, l’évaluation des préjudices et leur chiffrage impliquent un examen particulier de chaque situation, notamment sur la base de référentiels qui n’ont aucune autorité normative d’une part, et de situations déjà jugées, d’autre part.
Le conseil d’Etat a en effet jugé que :
« Considérant qu’en vertu des articles L. 27 et L. 28 du code des pensions civiles et militaires de retraite, les fonctionnaires civils de l’Etat qui se trouvent dans l’incapacité permanente de continuer leurs fonctions en raison d’infirmités résultant de blessures ou de maladies contractées ou aggravées en service peuvent être radiés des cadres par anticipation et ont droit au versement d’une rente viagère d’invalidité cumulable avec la pension rémunérant les services ; que les articles 30 et 31 du décret du 9 septembre 1965 relatif au régime de retraite des fonctionnaires affiliés à la caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales prévoient, conformément aux prescriptions du II de l’article 119 de la loi du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale, des règles comparables au profit des agents tributaires de la caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales ;
Considérant que ces dispositions déterminent forfaitairement la réparation à laquelle un fonctionnaire victime d’un accident de service ou atteint d’une maladie professionnelle peut prétendre, au titre de l’atteinte qu’il a subie dans son intégrité physique, dans le cadre de l’obligation qui incombe aux collectivités publiques de garantir leurs agents contre les risques qu’ils peuvent courir dans l’exercice de leurs fonctions ; qu’elles ne font cependant obstacle ni à ce que le fonctionnaire qui a enduré, du fait de l’accident ou de la maladie, des souffrances physiques ou morales et des préjudices esthétiques ou d’agrément, obtienne de la collectivité qui l’emploie, même en l’absence de faute de celle-ci, une indemnité complémentaire réparant ces chefs de préjudice, distincts de l’atteinte à l’intégrité physique, ni à ce qu’une action de droit commun pouvant aboutir à la réparation intégrale de l’ensemble du dommage soit engagée contre la collectivité, dans le cas notamment où l’accident ou la maladie serait imputable à une faute de nature à engager la responsabilité de cette collectivité ou à l’état d’un ouvrage public dont l’entretien incombait à celle-ci ; »
(CE, Ass., 4 juillet 2003, req. n°211106)
Plus simplement, le fonctionnaire dont l’état de santé a été reconnu imputable au service, que ce soit au titre d’un accident ou d’une maladie professionnelle, est placé en situation de congé pour invalidité temporaire imputable au service et perçoit une allocation temporaire d’invalidité.
Cette allocation, selon la jurisprudence, vient réparer les « pertes de revenus » et « l’incidence professionnelle résultant de l’incapacité physique causée par l’accident ou la maladie ».
Le juge admet par ailleurs que l’agent en question puisse, même en l’absence de faute de son administration, solliciter indemnisation complémentaire des préjudices patrimoniaux d’une autre nature et l’indemnisation de ses préjudices personnels.
Enfin, l’agent conserve la possibilité d’engager une action en responsabilité de droit commun pour recherche la réparation intégrale de l’ensemble des dommages en cas de faute.
Aussi, même en l’absence de faute, l’agent peut solliciter l’indemnisation de son préjudice patrimonial (aide d’une tierce personne), l’indemnisation des préjudices extrapatrimoniaux (les préjudices temporaires/préjudice permanents).
Au titre des préjudices extrapatrimoniaux temporaires (avant consolidation) :
– Le déficit fonctionnel temporaire ;
– Les souffrances endurées ;
– Le préjudice esthétique temporaire.
Au titre des préjudices permanents (après consolidation), l’agent peut solliciter l’indemnisation :
– Déficit fonctionnel permanent ;
– Préjudice d’établissement (ce poste de préjudice cherche à indemniser la perte d’espoir, de chance ou de toute possibilité de réaliser un projet de vie familiale “normale” en raison de la gravité du handicap permanent, dont reste atteint la victime après sa consolidation : se marier, fonder une famille, élever des enfants, projet immobilier) ;
– Préjudice esthétique ;
– Préjudice sexuel ;
– Préjudice d’agrément (activités de loisirs, répercussions sur la vie sociale) ;
– Préjudice d’affection (en cas de décès, pour le conjoint, les enfants et parents) ;
– Préjudice moral.
Dans l’hypothèse où l’accident ou la maladie serait imputable à une faute de nature à engager la responsabilité de l’administration ou à l’état d’un ouvrage public dont l’entretien incombait à celle-ci, le fonctionnaire pourra rechercher une indemnisation plus large dans le cadre d’une action en responsabilité qui tend à réparer intégralement ses dommages ; étant précisé que les préjudices, notamment ceux précités, résultent du dommage, celui-ci englobe d’autres chefs de préjudices. C’est le cas par exemple en matière d’accident de trajet, des préjudices matériels, en cas de dommage à un bien immobilier ou mobilier, qui ne sont pas couverts par les dispositifs précédents.
Cette démarche implique souvent, dans la mesure où elle repose sur des considérations médicales, de solliciter la désignation d’un expert, puis de rechercher la responsabilité de l’administration employeur sur la base de ces conclusions expertales, pour pouvoir identifier les préjudices et évaluer le montant de leur indemnisation.
En résumé, le législateur et le juge ont élaboré un régime d’indemnisation à trois niveaux :
– Dans le cadre de la déclaration d’accident ou de maladie professionnelle, il est prévu l’indemnisation des éléments relatifs à la rémunération par le forfait dans le cadre de l’allocation temporaire d’invalidité ;
– Dans le cadre d’une action en responsabilité, sans faute, il est prévu l’indemnisation des préjudices patrimoniaux d’une autre nature et extrapatrimoniaux ;
– Dans le cadre d’une action en responsabilité – pour faute – l’agent pourra rechercher l’indemnisation intégrale des dommages qui n’auraient pas déjà été indemnisés.
Par conséquent, si vous tenez une décision favorable par laquelle votre employeur public a reconnu l’imputabilité au service de votre état de santé, vous pouvez prétendre à une indemnisation complémentaire.