A propos du dossier consacré aux « 40 ans de la loi « Le Pors » » publié sur le site de La Gazette dans son numéro 23/2669. A lire dans son intégralité ici.
A l’occasion des 40 ans à venir de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, dite loi « Le Pors », La Gazette lui consacre un dossier très intéressant. Cette publication nous offre l’occasion de revenir sur quarante années d’évolution du statut général des fonctionnaires qui a connu un nouveau tournant avec la codification des quatre lois statutaires.
« Le statut vacille mais résiste »[1]
La loi dite Le Pors du 13 juillet 1983, également qualifié de « titre I du statut général de la fonction publique » et qui régit les dispositions communes à l’ensemble des fonctionnaires, aura 40 ans dans moins d’un mois. Elle est accusée, depuis ces années, de tous les maux, en particulier celui de la rigidité empêchant une gestion plus fluide de la ressource humaine des administrations et une crise des vocations.
Ainsi que le rappelle La Gazette, c’est oublier les 278 modifications textuelles de cette Loi[2].
C’est également oublier les différentes possibilités de mobilités offertes par le texte : on pense par exemple à celles permettant à un fonctionnaire de quitter son emploi par différents mécanismes protecteurs (détachement, disponibilité…) ou à celles permettant à une administration de se séparer d’un agent dont le comportement n’est pas celui attendu d’un fonctionnaire. Certes, encore faut-il un certain courage politique pour mener à bien les procédures relatives à l’insuffisance professionnelle et à la discipline.
Parmi les évolutions majeures du titre I du statut général, on notera la dernière d’entre elle intervenue à la faveur de la loi du 6 août 2019 de transformation de la fonction publique. Particulièrement décriée, cette loi marque un tournant qualifié d’inquiétant par Emeline le Naour[3]. En effet, si les autres mutations ont en réalité accompagné l’évolution des besoins du service public, cette loi traduit la volonté d’en finir avec le particularisme du statut : fusion des instances représentatives, diminution du rôle des syndicats en matière de gestion des carrières et, surtout, possibilité d’un recrutement de contractuels très élargie. Pour certains, au contraire, « l’intérêt général n’appartient pas au statut » et « bien des missions de service public sont déjà assurées par des organismes de droit privé via des délégations de service public » : c’est en tout cas ce que défend Marcel Pochard, conseiller d’État honoraire et ex-directeur général de l’administration et de la fonction publique entre 1993 et 1998[4].
Selon Fabrice Melleray, professeur à Sciences-po et spécialiste du droit de la fonction publique, les contractuels ont en toute hypothèse un quasi-statut.
L’important n’est donc pas la position statutaire des fonctionnaires qui n’expliquerait pas la crise des vocations. Bien des autres raisons peuvent être avancées justifiant un manque d’attractivité pour la fonction publique. A titre d’exemple, les rémunérations à la dérive, qualifiées ainsi par Emeline le Naour[5], sont clairement un frein au recrutement d’agents impliqués, notamment sur les territoires ruraux dont les capacités financières sont extrêmement restreintes alors que le besoin de service public est bien présent. Un levier d’action ne pourrait-il pas être de libérer les rémunérations ? Dans sa conclusion, Emeline le Naour observe à ce sujet que « le peu de différences entre les grilles indiciaires des catégories finira par sonner le glas du statut de 1983, le recours accru aux primes et autres dispositifs de relèvement des rémunérations créant de grandes inégalités interversants »[6].
Restons cependant optimiste tel que nous le propose Anicet Le Pors, cité par Emeline Le Naour[7] : « je crois que nous sommes, au contraire, à un moment de l’histoire où sont appelés à se développer les interdépendances, les coopérations, les solidarités, les valeurs universelles et les droits communs. Or, dans notre pays, ces différents concepts se condensent en une idée : le service public. Je pense donc que nous pourrions connaître, avant la fin du XXIe siècle, un nouvel âge d’or du service public. Il faut sans doute savoir rêver mais en restant lucide. L’heure est à l’action ».
Le tournant de la codification
Longtemps annoncée, désespérément attendue, la codification du droit de la fonction publique a fini par voir le jour avec l’entrée en vigueur, le 1er mars 2022, de l’ordonnance du 24 novembre 2021 portant partie législative du code général de la fonction publique (CGFP)[8]. Comme le rappelle Emmanuel Aubin, il serait plus judicieux de mentionner un « demi-code de la fonction publique »[9] dans la mesure où seules les quatre lois statutaires[10] ont pour l’heure été codifiées ; le code est donc amputé de l’ensemble des dispositions réglementaires qui régissent la situation particulière des fonctionnaires. On trouve là le premier écueil de la codification, dont l’un des intérêts majeurs était pourtant de regrouper l’ensemble des dispositions réglementaires, caractérisées par leurs sources éparses, au sein d’un recueil unique. La codification de la partie réglementaire du code général de la fonction publique n’est cependant pas attendue avant 2025.
Mais outre la forme, c’est aussi et surtout le fond qui fait l’objet de nombreuses critiques. En écho au 40 ans de la loi Le Pors, on peut principalement reprocher au pouvoir réglementaire d’avoir, à travers l’ordonnance de 2021, procédé à une dilution de la logique statutaire. Dans leur étude entièrement consacrée à l’analyse de la codification, Emmanuel Aubin et Anthony Taillefait l’expliquent parfaitement en relevant par exemple, et cela n’a rien d’anecdotique, que si l’article L. 1 du CGFP rappelle bien que le code « constitue le statut général des fonctionnaires », le terme « statut général » n’a pas été repris dans l’intitulé du code. De même, ils relèvent très justement que « le mot « fonctionnaire » disparaît des lois statutaires pour être remplacé par l’expression « agent public » qui englobe à la fois la situation des fonctionnaires et celle des agents contractuels. Cette globalisation du droit est critiquable et a amené, selon nous, les codificateurs à aller au-delà de leur mission en prenant pour un acquis la similitude des situations des titulaires et des agents contractuels (…) »[11].
En raison de cette dilution de la logique statutaire, les auteurs vont jusqu’à considérer que « ce code frise la grande loi refondatrice de la fonction publique »[12]. Dans ces conditions, la célébration du 40ème anniversaire du titre Ier du statut général ne peut se faire sans que ne soit prise en compte la codification qui constitue à n’en pas douter un tournant dans l’histoire de la fonction publique.
[1] Claire BOULLAND, Émeline LE NAOUR et Maud PARNAUDEAU, Dossier « 40 ans de la loi « Le Pors » », La Gazette, n° 23/2669, 15 juin 2023, en ligne : https://www.lagazettedescommunes.com/871424/40-ans-de-la-loi-le-pors-retour-aux-sources-dun-statut-qui-resiste/
[2] Ibidem.
[3] Ibidem.
[4] Cité par Émeline LE NAOUR, « Détricotage ou évolution ? Les mutations du statut font débat », La Gazette, n° 23/2669, 15 juin 2023, en ligne : https://www.lagazettedescommunes.com/871420/detricotage-ou-evolution-les-mutations-du-statut-font-debat/
[5] Ibidem.
[6] Ibidem.
[7] Ibidem.
[8] Ordonnance n° 2021-1574 du 24 novembre 2021 portant partie législative du code général de la fonction publique.
[9] Emmanuel AUBIN, « Le code général de la fonction publique ou l’évanescence du statut général », AJFP, 2022, p. 65.
[10] Loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires ; loi n° 84-16 du 11 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique de l’État ; loi n° 84-53 du 26 janvier 1984 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique territoriale ; loi n° 86-33 du 9 janvier 1986 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique hospitalière.
[11] Ibidem.
[12] Ibidem.